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Comment redonner au circuit spécialisé une position de leader

Pour bien comprendre cet entretien, il est d’abord nécessaire de souligner que lorsqu’en Allemagne on parle de cosmétique « naturelle », cela recouvre grosso modo ce que nous appelons chez nous cosmétique « bio », question de culture et d’historique différents. Ensuite, il faut rappeler qu’il existe en Allemagne deux circuits concurrents. D’une part les Bioläden (Bioladen au singulier) alias Naturkostläden, les magasins les plus récents, vendant principalement des produits alimentaires bio, et d’autre part, les Reformhäuser (Reformhaus au singulier), qui existent depuis les années 20, centrés sur les produits diététiques, les compléments alimentaires et « médicaments naturels », ainsi que la cosmétique. Ces derniers sont regroupés au sein de l’association Neuform – que Rainer Plum co-préside depuis 2011 – et s’appuient sur la Reformhaus-Fachakademie, centre de formation présidé depuis 2011 également par M. Plum.

 

« Dans les années qui viennent, la marque Neuform symbolisera un niveau élevé de qualité » (Photo : ReformhausMarketing GmbH).

 

Quel rôle ont joué les Reformhäuser dans l’apparition et le développement de la cosmétique naturelle ?

Le premier cahier des charges pour une cosmétique en qualité Neuform date des années 30 : les Reformhäuser ont été de loin les premiers à définir ce qu’est la cosmétique naturelle, avec l’interdiction des ingrédients provenant d’animaux morts comme

Le parcours du toujours souriant Bavarois Rainer Plum montre sa légitimité certaine pour parler de la bio en Allemagne et plus particulièrement de la cosmétique. Cofondateur en 1976, à Munich, d’un des premiers magasins bio allemands, incluant même un restaurant végétarien, il tient ensuite pendant un an, en 1977, une exploitation maraîchère cultivée en biodynamie (Demeter), puis devient le collaborateur d’une jeune société de fabrication de produits alimentaires bio et Demeter, devenue aujourd’hui internationalement connue. En 1979, il est aussi le cofondateur de la première boulangerie proposant uniquement du pain bio et intégral. Attiré par une beauté bio de haut niveau, il crée en 1980 avec son épouse Silvia une marque de cosmétique bio et même Demeter. En parallèle, il est le propriétaire, de 1987 à 1998, d’un magasin bio, et de 1993 à 1998 membre du comité directeur de l’association Demeter allemande et de celui du BNN, l’association allemande des fabricants de produits naturels et bio. En 2003, après avoir cédé sa marque cosmétique (qui existe encore), il fonde, toujours avec son épouse, une société de produits d’aromathérapie puis en 2005 une entreprise de conseil et de formation et enfin en 2007 New Ethics, société de certification de produits et services bio et éthiques. Il se consacre aujourd’hui entièrement à ses mandats professionnels.

 

fondement principal. Puis la question de la chimie a joué un rôle croissant en raison de la place grandissante prise par les dérivés du pétrole dans la cosmétique conventionnelle. D’où l’exclusion rapide, chez Neuform, de la paraffine et autres dérivés pétroliers, ainsi que des conservateurs et des parfums de synthèse. Cependant, les 20 dernières années du siècle passé, à force d’exceptions ponctuelles, de plus en plus de produits certifiés Neuform finirent par contenir des substances a priori interdites par le règlement Neuform. Les Reformhäuser ont néanmoins participé largement au développement du concept de cosmétique naturelle, restant pendant de longues années le seul circuit où on pouvait en trouver.

 

Combien de temps a duré ce « cavalier seul » des Reformhäuser ?

Il a duré jusqu’à la fin des années 70, début des années 80. D’abord, la cosmétique a été lentement, au fil des ans, moins au coeur de leurs préoccupations, avec une application moins stricte des règles comme évoqué à l’instant. Le changement est surtout venu

 

 

de l’apparition, à partir de 1984-85, de marques de cosmétique naturelle dans les Bioläden, avec deux marques en particulier – dont la mienne – qui conçurent, dans le cadre du BNN (l’association des fabricants et distributeurs de produits alimentaires bio, créée en 1982) un cahier des charges de cosmétique plus strict, avec l’interdiction d’un grand nombre d’ingrédients, à l’instar de ce que l’on trouve aujourd’hui chez le BDIH, NaTrue, Cosmébio… L’initiative ne vint pas des Bioläden eux-mêmes, car ils n’avaient aucune connaissance en cosmétique, dont ils se préoccupaient peu, leur compétence concernant l’agriculture bio et les aliments bio.

 

Pourquoi les Reformhäuser n’ont-il alors pas tiré profit de cette nouvelle vague d’une cosmétique naturelle plus stricte, au contraire des Bioläden ?

C’est simplement parce que ces deux marques, puis celles qui suivirent, ne vendaient que dans les Bioläden. D’abord parce que mon ami créateur d’une des deux marques pionnières et moi-même, créateur de l’autre, nous étions aussi propriétaires de Naturkostläden, et nous faisions donc partie intégrante de ce mouvement des Bioläden. Par ailleurs, les Reformhäuser étaient un marché complètement fermé, car les fabricants réunis au sein du VRH (association des fabricants de produits naturels étroitement associée à la Neuform) y exerçaient une forte influence, notamment pour l’agrément donné par Neuform à de nouvelles marques. Elles ont donc pesé de tout leur poids contre l’arrivée de ces marques qu’elles considéraient comme des concurrents.

 

Les drogueries sont aujourd’hui le circuit n°1 pour la vente de cosmétique certifiée en Allemagne. Pourquoi les Reformhäuser ont-ils continué à perdre des parts de marché, passé ce changement du milieu des années 80 ?

La raison est d’abord purement mathématique : ils ont perdu des parts de marché parce qu’ils sont passés en quelques années de 2500 à aujourd’hui 1200 magasins. Ensuite, point important, c’est l’arrivée, sur le marché de la cosmétique certifiée, des drogueries, surtout la chaîne dm, qui en a fait un marché de masse . Depuis 5 ou 6 ans, la première marque de cosmétique certifiée en Allemagne est la marque propre d’une des chaînes de droguerie. Visibilité de masse mais aussi marché de prix très bas : la marque évoquée à l’instant propose des crèmes certifiées à 3,49 € ! Les deux circuits bio ont alors perdu petit à petit des parts de marché, les Reformhäuser parce qu’ils ont eu une croissance plus lente que les autres, entre autres parce que jusqu’au début des années 2000, ils étaient un marché fermé qui exigeait une exclusivité de la part des fabricants. Et ce recul a aussi fait qu’ils ont perdu en modernité et en assortiment. Mais en même temps, le marché a globalement augmenté et aujourd’hui le volume en Euros est néanmoins resté à peu près le même dans les Bioläden et les Reformhäuser, chacun faisant à peu près 120 millions d’Euros de CA avec la cosmétique certifiée.

 

Aujourd’hui, les Reformhäuser semblent de nouveau dans la course. Par quels moyens ?

Nous avons en priorité revu le cahier des charges Neuform pour la

cosmétique, auquel j’ai déjà travaillé comme consultant avant de devenir président de l’association. Il atteint maintenant le standard minimum du BDIH, NaTrue, Cosmébio, etc. plus d’autres points précis comme, avancée essentielle, l’exclusion totale des ingrédients issus d’animaux morts, y compris les invertébrés (insectes), une règle de toute façon valable pour l’ensemble de nos cahiers des charges : produits alimentaires, médicaments naturels, compléments alimentaires… Nous avons en outre analysé ce qui constitue les compétences- clés des Reformhäuser. Et en comparaison de tous les autres circuits, ceux-ci sont les magasins où on trouve le plus de conseil, ce qu’on voit très bien en cosmétique. Dans les Bioläden, on trouve surtout des produits en self-service et des prix d’entrée de gamme, alors que chez nous on trouve des produits aux prix plus élevés, dont les soins visage – qui représentent la plus grosse partie du marché – de marques au positionnement plus « premium ». Conseil et assortiment : deux mots-clés ! Plus notre logo spécifique, que nous nous appliquons à promouvoir comme le symbole de la qualité la plus élevée du marché, en communiquant et en expliquant que nos règles sont les plus strictes que l’on puisse trouver.

 

Le Reformhaus Quentin à Berlin et une partie de son espace cosmétique (Photos : ReformhausMarketing GmbH et Michel Knittel).

 

Mais toutes les marques présentes dans les Reformhäuser sont en général déjà certifiées. Qu’apporte spécifiquement ce cahier des charges Neuform ?

Notre idée de base, avec notre propre certification, est de « revaloriser » la qualité de l’assortiment présent dans les Reformhäuser. Dans la pratique, nous acceptons bien sûr les produits déjà certifiés par ailleurs et vérifions qu’en plus les produits sont totalement sans ingrédients issus d’animaux morts, plus nos autres critères (voir encadré page suivante). Le produit peut alors recevoir notre logo. Mais pour l’instant, il y a toujours des magasins qui décident eux-mêmes des produits qu’ils référencent, avec pour conséquence qu’il reste dans leurs rayons des produits ne correspondant pas à la qualité Neuform. À noter qu’aujourd’hui l’attribution du logo Neuform n’entraîne plus pour le produit l’obligation d’être vendu exclusivement dans notre circuit.

 

1) Il y a plus de 3.800 drogueries en Allemagne, dont environ 1.750 à l’enseigne Rossmann, 1.350 dm, 490 Müller et 160 Budnikowsky.

 

 

Les grandes lignes de la certification Neuform

● Naturalité : ingrédients sélectionnés de provenance sûre, ingrédients végétaux issus de l’agriculture biologique.

● Authenticité : produits fabriqués pour respecter leurs qualités naturelles, sans ajout d’ingrédients de synthèse, refus des OGM, sans traitement ionisant, etc.

● Sécurité : produits testés en laboratoire, à la qualité la plus élevée possible.

● Respect : sourcing éthique, emballages ménageant les ressources naturelles, pas de tests sur animaux, pas d’ingrédients issus d’animaux morts, ingrédients animaux (ex. lait, miel, cire d’abeille) obtenus dans le respect de l’animal. Un grand nombre de produits est d’ailleurs vegan.

● Accompagnement : les produits doivent être conseillés par un personnel compétent.

 

Mais c’est encore un logo de plus… Les consommateurs ne sont-ils pas déjà assez perdus comme cela ? Surtout qu’en plus des certifications associatives, nombre de marques ont aussi leur propre logo « Bio » ou aussi « Vegan »…

Vous avez raison… Mais en 2008 et en 2011, les enquêtes que nous avons faites en Allemagne ont montré que la marque Reformhaus a un degré de notoriété de 95 % et Neuform de 67 %, c’est-à-dire supérieur à celui de la plupart des fabricants ! Nous sommes donc convaincus que si nous arrivons à bien repositionner la marque Neuform dans les années qui viennent, elle symbolisera un niveau élevé de qualité.

 

Retournons dans les magasins… Quels avantages, qui pourraient éventuellement nous inspirer ici en France, outre bien sûr le conseil déjà évoqué, possèdent les Reformhäuser en matière de cosmétique naturelle en comparaison des autres circuits : drogueries, parfumeries, grande distribution ?

Il existe une condition absolument indispensable, inscrite dans nos statuts, qui est que toute personne qui veut ouvrir un Reformhaus, ainsi que le personnel d’encadrement, doit passer par une formation de base de 6 semaines, dont une semaine rien que pour la cosmétique. Contrairement aux Bioläden ou aux drogueries, notre personnel est donc activement formé, et en toute indépendance des marques. Le personnel peut ainsi vraiment prodiguer des conseils en cosmétique naturelle, sur son utilisation, son adaptation aux types de peau, etc. Depuis des dizaines d’années, la Reformhaus- Fachakademie a mis en place un système qui nous donne l’avantage d’être – avec les pharmacies, mais qui sont surtout aptes à vendre des médicaments – le seul vrai circuit de conseil. Ce système nous offre la grande chance de permettre aux magasins d’investir dans la formation initiale puis dans la formation continue. C’est pour cela qu’aujourd’hui nous proposons en plus de la formation de base une formation de conseiller en cosmétique naturelle, plus d’autres à venir, pour le maquillage par exemple.

La Reformhaus-Fachakademie à Oberursel (Photo Reformhaus-Fachakademie).

 

Le mot-clé c’est donc « compétence professionnelle » ?

Oui, mais pas seulement les connaissances techniques : cela inclut aussi la compétence en matière de vente… Le problème des Bioläden est qu’ils ont toujours considéré que les clients en savent assez sur le bio. Quand il y a 3 ans ils ont essayé de mettre en place eux aussi une formation de base, ils ont dit qu’ils ne voulaient pas que leurs collaborateurs passent 5 jours à se former en cosmétique, considérant que 2 jours maximum étaient suffisants, et encore cela incluait aussi les huiles essentielles et les produits détergents ! Ce qui montre la valeur qu’ils attachaient à ce domaine. Un grand nombre de Bioläden sont d’ailleurs des supermarchés bio et le personnel sert surtout à remplir les rayons, à faire de la coupe et à emballer certaines denrées, à encaisser les produits achetés… Aujourd’hui, il n’y a personne dans ces supermarchés bio qui a une connaissance approfondie des produits. Conséquence, avec des produits en selfservice, l’absence de compétence technique et de conseil actif de vente, la cosmétique naturelle ne dépasse pas 5 ou 6 % de leur chiffre d’affaire, contre 20 % en moyenne dans les Reformhäuser voire 30 à 40 % pour les meilleurs !

 

L’espace cosmétique du Reformhaus Merk à Kaufbeuren (Photos ReformhausMarketing GmbH).

 

 

Quels sont les autres points auxquels le Reformhaus est aujourd’hui attentif ?

Un point-clé est la modernisation du lieu de vente. Il existe aujourd’hui de très beaux et très modernes Reformhäuser, avec des rayons cosmétiques superbement agencés. Environ 10 % – en général les plus modernes, dans les grandes villes, avec de la place suffisante – ont également une cabine de soins, utilisée chaque jour, avec des rendez-vous réguliers, ce qui joue un rôle important pour fidéliser la clientèle. Ce qui était aussi nécessaire, c’est de référencer dans l’assortiment des produits et des marques qualitatives, haut de gamme, pour offrir aux clients un choix plus large. Les deux premières marques en Reformhaus sont aujourd’hui des marques qui ne sont pas du tout d’entrée de gamme, la n°2 ayant été totalement absente il y a quelques années. Troisième point, le category management : il faut encore y travailler, pour pouvoir répondre à toutes les demandes des clients, aussi bien dans la largeur de l’assortiment que dans sa profondeur, pour pouvoir toucher encore plus la clientèle potentielle.

 

Quelle est votre position par rapport au « green washing », dû en général à des groupes cosmétiques qui ont de puissants moyens de communication ?

Pour moi, faire de la vraie cosmétique naturelle ce n’est plus possible sans une certification. Et dans les Reformhäuser, au fil des ans, la demande des gérants mais aussi des clients pour plus de rigueur a vraiment augmenté. Grâce à toutes les possibilités actuelles de s’informer – blogs qui échangent entre eux sur ce qui se cache derrière les marques, réseaux sociaux etc. – il y a beaucoup plus de transparence qu’il y a 20 ans. J’ai même refusé la présence, dans notre magazine gratuit Reformhaus Kurier, d’insertions publicitaires pour des produits de certaines marques par ailleurs certifiées et bien vendues, car ces produits contenaient des ingrédients « indésirables ». Cela a surpris certains, mais on ne peut pas accepter ceci d’un côté et de l’autre faire la promotion de la qualité Neuform telle qu’évoquée ! Les magasins suivent d’ailleurs de plus en plus ma démarche. L’objectif est qu’à fin 2015 75 % de la cosmétique des Reformhäuser soit certifiée

 

« La compétence-clé des Reformhäuser, c’est le conseil » (Photo : ReformhausMarketing GmbH).

Neuform. Mais je pense que cela durera moins longtemps, les 2-3 marques concernées y étant poussées par le marché. Car pour combattre le green washing, il faut une cosmétique naturelle certifiée, qui brandit bien haut le drapeau de la qualité et qui ne se permet pas de se développer comme l’a fait autrefois Neuform, en autorisant des exceptions, etc. mais au contraire cherche une transparence parfaite, avec peu d’arguments mais les bons, pour toucher un public le plus large possible.

 

Pour résumer, pour vous, la « clé » c’est jouer la carte de la qualité naturelle la plus élevée, de la transparence, de l’authenticité, ainsi que de la compétence sur les produits et sur la vente… Vous êtes donc plus optimiste que dans le passé en ce qui concerne l’avenir de la cosmétique naturelle ?

Les Reformhäuser ont de très belles perspectives d’avenir en général et en particulier avec la cosmétique naturelle. Nous nous adressons à ces 20 à 30 % de la population qui ont un intérêt réel pour cette cosmétique naturelle, et nous savons que les possibilités, les « performances » qu’offrent les Reformhäuser ne sont pas encore entièrement connues auprès de ce groupe de consommateurs. C’est dans ce sens que nous faisons et ferons encore beaucoup pour positionner nos magasins comme « le » circuit compétent en matière de santé et de soins naturels. Il y a un potentiel de développement énorme. Les drogueries ne sont un concurrent important que pour les Bioläden, car ils sont tous deux sur le créneau du self-service et des prix d’entrée de gamme. Nous, nous jouons la carte du conseil intensif et des produits plus haut de gamme que ces deux circuits n’offrent pas. Et les pharmacies et parfumeries ne sont actuellement pas des concurrents. En plus, la Reformhaus-Fachakademie est un avantage énorme pour nous, et c’est pourquoi j’ai voulu aussi en prendre la tête en plus de la Neuform, pour bien associer les deux organisations. Cela marche très bien et c’est pour cela que j’ai confiance.

 

Merci pour cet entretien, qui nous l’espérons aidera les magasins spécialisés français à trouver également des solutions pour redynamiser la cosmétique bio chez nous.

 

 

Autres informations

La référence pour les professionnels de la distribution bio spécialisée et alternative

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