Avec 24 % de ses surfaces agricoles labellisées et des conversions en constante augmentation, l’Autriche est championne d’Europe du bio. Mais certains acteurs alertent sur la nécessité d’innover.
Georg Kinzl est très soucieux du bien-être de ses vaches. Dans le pré jouxtant sa ferme de Sankt Pantaleon, vingt-six laitières paissent paisiblement et rien ne paraît vouloir troubler cette douce quiétude. Pas même le clocher qui tend son bulbe face aux Alpes enneigées. Ni la Moosach qui coule en contrebas. L’éleveur possède 30 hectares de terres et une trentaine de bêtes de race Fleckvieh, cousine allemande de la Montbéliarde. Les plus jeunes ont été laissées à l’étable pour offrir à celles-ci plus d’espace pour brouter. « Cela leur permet d’être en bonne santé et de produire un lait de meilleure qualité », fait-il valoir sous la casquette qui lui cache la moitié du visage.
Voilà presque deux siècles que la famille de Georg Kinzl exploite ces terres situées aux confins de la Haute-Autriche, à seulement deux kilomètres de l’Allemagne. Mais cela ne fait qu’un an que celui-ci est passé au bio. Grâce aux précieux labels placardés à la porte de son étable, l’exploitant vend son lait 50 centimes le litre, soit dix centimes de plus que le conventionnel. Son chiffre d’affaires a grimpé de 15 %. Pas suffisant pour être rentable – il lui faudrait le double de bêtes –, mais l’éleveur n’en a cure. Avec le salaire de madame, psychologue dans une association protestante, le couple s’en sort bien. Outre ses revenus en hausse, George Kinzl a désormais la conscience tranquille. « J’ai l’impression d’avoir fait le bon choix, de faire les choses correctement », confie-t-il.
Une longue tradition
Comme lui, nombreux sont les agriculteurs à sauter le pas, attirés par des prix stables et un marché en plein essor. Entre 2016 et 2017, les conversions ont encore augmenté de 6 %. Résultat : avec 24 % de ses surfaces certifiées, soit une exploitation sur cinq, l’Autriche est numéro 1 en Europe, loin devant les grands pays agricoles que sont la France et l’Allemagne, et largement au-dessus de la moyenne européenne (7 %).
Cet intérêt pour le bio n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans une longue tradition qui remonte aux années 1920, lorsque les premières fermes biologiques apparaissent dans les montagnes de la Carinthie. Des associations de producteurs naissent cinquante ans plus tard, jetant les bases d’une réglementation sur l’agriculture bio bientôt inscrite dans la loi. Les aides à la filière instaurées par le gouvernement dès 1990, puis l’entrée dans l’Union européenne en 1995 accélèrent le développement du secteur. Un programme agro-environnemental baptisé « ÖPUL » est mis sur pied. Dans un contexte d’incertitude sur l’évolution des prix agricoles, il garantit aux revenus de ses bénéficiaires une certaine stabilité. Installé sur le second pilier de la politique agricole commune (PAC) et financé à parts égales par l’UE et l’État, le programme ÖPUL reste d’ailleurs encore aujourd’hui « un facteur de développement essentiel du secteur », relève un rapport de l’Institut technique de l’agriculture biologique.
Président de l’association Bio Austria pour la région du Burgenland, Franz Traudtner confirme : « L’entrée de l’Autriche dans l’Union européenne a permis l’augmentation des subventions. Comme elle a entraîné une augmentation de la concurrence pour le conventionnel, cela a facilité le développement du bio. » En 1995, les agriculteurs conventionnels intègrent un marché dans lequel ils ne peuvent en effet guère peser. L’Autriche, pays montagneux recouvert pour moitié de forêts, est peu propice à l’agriculture intensive. Pour rivaliser avec leurs voisins européens, les fermiers n’ont alors d’autre choix que de miser sur la qualité.
Menaces sur le bio
C’est à cette même époque que la grande distribution se lance sur le marché, offrant aux producteurs de nouveaux débouchés. Dès 1994, le groupe Rewe installe dans les rayons de ses magasins une gamme de produits biologiques sous la marque Ja! Natürlich (Oui! Naturellement). Ses concurrents Spar et Hofer lui emboîtent le pas. Vingt ans plus tard, les trois géants occupent à eux seuls près des trois quarts du marché bio autrichien.
Dans les rayons du supermarché Merkur, dans le XVIe arrondissement de Vienne, les produits Ja! Natürlich sont partout, de la pâte à tartiner jusqu’aux lardons, en passant par le fromage à la découpe. À tel point que les clients consomment parfois bio sans le savoir. Comme ce monsieur au cheveu rare, rencontré à la sortie. « Je n’en achète jamais. Parce que les produits que j’achète n’existent pas en bio », marmonne-t-il en fourrant dans son cabas un pot de yaourt de la marque Ja! Natürlich. Les autres vantent les bienfaits pour la santé. Et des prix pas forcément prohibitifs. « Il y a souvent des promos », observe Maria, la quarantaine.
Mais les représentants du secteur voient le ciel s’assombrir au-dessus des champs labellisés. D’abord en raison de sa dépendance à la grande distribution. Un « danger », selon Andreas Kranzler, directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FIBL) à Vienne. « Pour l’instant, l’offre en bio n’est pas trop développée. Mais si elle augmente, la grande distribution pourra faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix », redoute Franz Traudtner, président de l’association Bio Austria pour la région du Burgenland.
Si la guerre des prix n’a pas encore commencé, les enseignes se livrent déjà bataille sur le terrain de la qualité. Il s’agit pour chacune de montrer à ses clients que l’herbe est plus verte qu’ailleurs. L’une d’elles exige ainsi de ses fournisseurs en produits laitiers que leurs vaches aient accès aux pâturages toute l’année. « Leurs cahiers des charges sont de plus en plus stricts. Et si les producteurs n’arrivent plus à s’adapter à ces règles toujours plus contraignantes, les marques pourraient bien aller voir ailleurs », craint Sylvia Maria Schindecker, représentante des fermiers bio à la Chambre d’agriculture autrichienne.
A la recherche de nouveaux débouchés
Autre sujet de préoccupation : le développement de la concurrence européenne. Encouragées par une politique agricole commune incitative, les fermes bio se multiplient en Europe. Et notamment l’Allemagne, première destinataire des exportations autrichiennes. La filière cherche donc de nouveaux débouchés. Le secteur de la restauration, qui ne représente aujourd’hui que 3 % de ses ventes, semble le plus prometteur. En particulier celui de la restauration publique. « C’est là qu’il y a du potentiel », assure Robert Holzer, membre du bureau de Bio Austria en Basse-Autriche.
L’agriculteur de Neubau a une âme d’entrepreneur. Une qualité qu’il estime indispensable pour un fermier bio, « parce qu’il doit faire de la vente directe ou commercialiser des produits qui n’existent pas dans le conventionnel. » En plus des 300 à 400 tonnes de courges qu’il écoule chaque année dans la grande distribution, le fermier a développé sa propre marque : Landspeis (nourriture de pays), vendu dans des containers ouverts en continu. Il a également développé des services qu’il propose aux agriculteurs des alentours. Robert Holzer dit être un cas un peu extrême. En réalité, il n’a pas le choix. « Je ne pourrais pas vivre si je passais mon temps les mains dans la terre ».
Voilà presque deux siècles que la famille de Georg Kinzl exploite ces terres situées aux confins de la Haute-Autriche, à seulement deux kilomètres de l’Allemagne. Mais cela ne fait qu’un an que celui-ci est passé au bio. Grâce aux précieux labels placardés à la porte de son étable, l’exploitant vend son lait 50 centimes le litre, soit dix centimes de plus que le conventionnel. Son chiffre d’affaires a grimpé de 15 %. Pas suffisant pour être rentable – il lui faudrait le double de bêtes –, mais l’éleveur n’en a cure. Avec le salaire de madame, psychologue dans une association protestante, le couple s’en sort bien. Outre ses revenus en hausse, George Kinzl a désormais la conscience tranquille. « J’ai l’impression d’avoir fait le bon choix, de faire les choses correctement », confie-t-il.
Une longue tradition
Comme lui, nombreux sont les agriculteurs à sauter le pas, attirés par des prix stables et un marché en plein essor. Entre 2016 et 2017, les conversions ont encore augmenté de 6 %. Résultat : avec 24 % de ses surfaces certifiées, soit une exploitation sur cinq, l’Autriche est numéro 1 en Europe, loin devant les grands pays agricoles que sont la France et l’Allemagne, et largement au-dessus de la moyenne européenne (7 %).
Cet intérêt pour le bio n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans une longue tradition qui remonte aux années 1920, lorsque les premières fermes biologiques apparaissent dans les montagnes de la Carinthie. Des associations de producteurs naissent cinquante ans plus tard, jetant les bases d’une réglementation sur l’agriculture bio bientôt inscrite dans la loi. Les aides à la filière instaurées par le gouvernement dès 1990, puis l’entrée dans l’Union européenne en 1995 accélèrent le développement du secteur. Un programme agro-environnemental baptisé « ÖPUL » est mis sur pied. Dans un contexte d’incertitude sur l’évolution des prix agricoles, il garantit aux revenus de ses bénéficiaires une certaine stabilité. Installé sur le second pilier de la politique agricole commune (PAC) et financé à parts égales par l’UE et l’État, le programme ÖPUL reste d’ailleurs encore aujourd’hui « un facteur de développement essentiel du secteur », relève un rapport de l’Institut technique de l’agriculture biologique.
Président de l’association Bio Austria pour la région du Burgenland, Franz Traudtner confirme : « L’entrée de l’Autriche dans l’Union européenne a permis l’augmentation des subventions. Comme elle a entraîné une augmentation de la concurrence pour le conventionnel, cela a facilité le développement du bio. » En 1995, les agriculteurs conventionnels intègrent un marché dans lequel ils ne peuvent en effet guère peser. L’Autriche, pays montagneux recouvert pour moitié de forêts, est peu propice à l’agriculture intensive. Pour rivaliser avec leurs voisins européens, les fermiers n’ont alors d’autre choix que de miser sur la qualité.
Menaces sur le bio
C’est à cette même époque que la grande distribution se lance sur le marché, offrant aux producteurs de nouveaux débouchés. Dès 1994, le groupe Rewe installe dans les rayons de ses magasins une gamme de produits biologiques sous la marque Ja! Natürlich (Oui! Naturellement). Ses concurrents Spar et Hofer lui emboîtent le pas. Vingt ans plus tard, les trois géants occupent à eux seuls près des trois quarts du marché bio autrichien.
Dans les rayons du supermarché Merkur, dans le XVIe arrondissement de Vienne, les produits Ja! Natürlich sont partout, de la pâte à tartiner jusqu’aux lardons, en passant par le fromage à la découpe. À tel point que les clients consomment parfois bio sans le savoir. Comme ce monsieur au cheveu rare, rencontré à la sortie. « Je n’en achète jamais. Parce que les produits que j’achète n’existent pas en bio », marmonne-t-il en fourrant dans son cabas un pot de yaourt de la marque Ja! Natürlich. Les autres vantent les bienfaits pour la santé. Et des prix pas forcément prohibitifs. « Il y a souvent des promos », observe Maria, la quarantaine.
Mais les représentants du secteur voient le ciel s’assombrir au-dessus des champs labellisés. D’abord en raison de sa dépendance à la grande distribution. Un « danger », selon Andreas Kranzler, directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FIBL) à Vienne. « Pour l’instant, l’offre en bio n’est pas trop développée. Mais si elle augmente, la grande distribution pourra faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix », redoute Franz Traudtner, président de l’association Bio Austria pour la région du Burgenland.
Si la guerre des prix n’a pas encore commencé, les enseignes se livrent déjà bataille sur le terrain de la qualité. Il s’agit pour chacune de montrer à ses clients que l’herbe est plus verte qu’ailleurs. L’une d’elles exige ainsi de ses fournisseurs en produits laitiers que leurs vaches aient accès aux pâturages toute l’année. « Leurs cahiers des charges sont de plus en plus stricts. Et si les producteurs n’arrivent plus à s’adapter à ces règles toujours plus contraignantes, les marques pourraient bien aller voir ailleurs », craint Sylvia Maria Schindecker, représentante des fermiers bio à la Chambre d’agriculture autrichienne.
A la recherche de nouveaux débouchés
Autre sujet de préoccupation : le développement de la concurrence européenne. Encouragées par une politique agricole commune incitative, les fermes bio se multiplient en Europe. Et notamment l’Allemagne, première destinataire des exportations autrichiennes. La filière cherche donc de nouveaux débouchés. Le secteur de la restauration, qui ne représente aujourd’hui que 3 % de ses ventes, semble le plus prometteur. En particulier celui de la restauration publique. « C’est là qu’il y a du potentiel », assure Robert Holzer, membre du bureau de Bio Austria en Basse-Autriche.
L’agriculteur de Neubau a une âme d’entrepreneur. Une qualité qu’il estime indispensable pour un fermier bio, « parce qu’il doit faire de la vente directe ou commercialiser des produits qui n’existent pas dans le conventionnel. » En plus des 300 à 400 tonnes de courges qu’il écoule chaque année dans la grande distribution, le fermier a développé sa propre marque : Landspeis (nourriture de pays), vendu dans des containers ouverts en continu. Il a également développé des services qu’il propose aux agriculteurs des alentours. Robert Holzer dit être un cas un peu extrême. En réalité, il n’a pas le choix. « Je ne pourrais pas vivre si je passais mon temps les mains dans la terre ».
Source : http://www.rfi.fr/europe/20190514-autriche-pays-toujours-plus-bio