Le prosulfocarbe, cet herbicide qui contamine les champs bio

Dessin : Christian Gasset pour Bio Linéaires.

Il s’agit désormais de l’herbicide le plus utilisé en France*. Le prosulfocarbe cause d’immenses ravages parmi les producteurs bio. Ultra volatil, ce pesticide contamine régulièrement des cultures non ciblées, comme le sarrasin bio, alerte la Fnab qui rappelle également l’impact de l’agriculture conventionnelle sur la pollution de l’eau. Dans le même temps, les données actualisées de la carte Adonis de Solagro révèlent une stagnation de l’usage des pesticides en France. Bio Linéaires fait le point. 

 

Face au fléau des contaminations de champs bio par le prosulfocarbe, la Fnab (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) dénonce quatre années d’inaction malgré ses alertes répétées aux autorités. Les pertes financières pour les agriculteurs bio sont lourdes, et aucune indemnisation n’a été accordée, contrairement aux promesses faites en 2023, dénonce la fédération.

« On nous avait promis une indemnisation avec la hausse des taxes sur les pesticides et tout a disparu avec les mobilisations agricoles », Philippe Camburet, président de la Fnab et producteur de sarrasin contaminé.

Des actions ont démarré la semaine dernière et la Fnab poursuit ses démarches juridiques, en collaboration avec Générations Futures, pour interdire le prosulfocarbe. Une cagnotte en ligne a été ouverte pour soutenir cette initiative.

Depuis 2018, plus de 400 récoltes bio ont été contaminées par ce pesticide, engendrant des pertes estimées à 550 000 euros pour 140 fermes entre 2020 et 2022, indique la Fnab. En 2024, la situation s’aggrave : les pluies d’automne ont retardé la récolte, tandis que les traitements au prosulfocarbe se poursuivaient.

« Aujourd’hui, si on veut que notre sarrasin soit collecté, on doit prouver qu’il n’a pas été contaminé en faisant faire à nos frais des analyses toxicologiques », explique Loïc Madeline, producteur de sarrasin bio en Normandie en attente de ses résultats d’analyses.

Et ces données méritent encore d’être complétées… « Il faut que tous les collecteurs jouent le jeu et publient leurs données de contamination pour qu’on avance. Si nous les bios sommes contaminés, il y a du sarrasin conventionnel qui l’est aussi et qui, lui, n’est pas détecté faute de contrôles », estime Philippe Camburet. Selon les données FranceAgriMer,  le sarrasin bio représente 40% de la collecte totale de sarrasin en France.

 

Eau polluée : l’agriculture non bio responsable n°1 

La Fnab alerte également sur l’impact de l’agriculture conventionnelle sur la pollution de l’eau. En France, l’agriculture est à la fois la première consommatrice d’eau potable et la principale responsable de sa pollution, notamment par les pesticides. Pourtant, elle ne contribue qu’à 9 % des budgets nécessaires à la gestion de l’eau, laissant plus de 50 % de la charge financière aux consommateurs. En 2022, 4,7 millions de personnes ont été exposées à une eau non conforme en raison de la pollution aux pesticides.

Pour la Fnab, la solution passe par un changement de modèle agricole. « On finance les pesticides d’un côté et leur dépollution de l’autre, alors qu’il serait plus efficace de soutenir la transition vers l’agriculture biologique », estime Stéphane Rozé, membre du comité national de l’eau. La Fnab demande ainsi que l’agriculture biologique, en tant qu’outil clé pour protéger l’eau, soit placée au cœur des politiques publiques.

Les revendications de la Fnab :
  1. Orienter les actions vers une conversion à l’agriculture biologique ;
  2. Interdire l’usage des pesticides et engrais de synthèse sur les zones de captage ;
  3. Augmenter la redevance pollution diffuse pour faire participer davantage les pollueurs au financement de la dépollution.

 

Hasard du calendrier, La Compagnie des eaux parisiennes en charge du réseau d’eau parisien a annoncé le 27 novembre dernier avoir choisi de verser, entre 2020 et 2025, près de 47 millions d’euros aux agriculteurs dans les zones où elle capte son eau pour qu’ils limitent l’usage de pesticides. Désormais, les 17 000 hectares concernés par l’opération comptent quatre fois plus de surfaces en agriculture biologique (11 800 hectares contre 2 800 hectares auparavant). Bilan : 77 % de phytosanitaires ont été déversés en moins dans l’environnement. La Compagnie des eaux parisiennes souligne que ces actions de prévention coûtent trois fois moins cher que d’avoir à traiter l’eau pour la dépolluer et la rendre potable.

 

L’utilisation de pesticides en France ne faiblit pas 

Source : Solagro.

Publiées à quelques jours d’écart des communications de la Fnab, les données de la carte Adonis de Solagro montrent une stagnation de l’usage des pesticides en France entre 2020 et 2022, avec un Indice de fréquence de traitement (IFT) moyen national passant de 2,36 à 2,37. Malgré une augmentation modeste des surfaces en bio (+1,1%), l’objectif du plan Ecophyto de réduire de 50 % l’usage des pesticides depuis 2007 reste hors d’atteinte, rappelle Solagro.

Derrière ces chiffres nationaux se cachent des disparités régionales : certains départements enregistrent une baisse de plus de 10% de leur IFT (Côte-d’Or, Haute-Marne, Meuse, Dordogne, Lot-et-Garonne, Alpes-Maritimes, Lozère et Corse du Sud) tandis que d’autres affichent une hausse équivalente**. 

Les cultures jouent également un rôle clé. En 2022, dix d’entre elles concentrent 90 % des traitements en France et parmi elles, quatre représentent 67 % de l’utilisation de pesticides : le blé tendre, le colza, l’orge et la vigne. Le blé tendre concentre à lui seul 36 % de la fréquence de traitement nationale.

 

Évolution des IFT par culture (Somme des IFT moyens x surface cultivée par commune, en conventionnel et en bio) en millions d’hectares – Adonis 2020 – 2021 – 2022

Source : Solagro.

L’impact des productions animales, lié à l’importation de soja pour l’alimentation, alourdit encore cette empreinte. Ce soja, majoritairement importé du Brésil, équivaut à 18 millions d’IFT globaux, soit trois fois plus que nos productions intérieures d’orge, de colza ou de vin. Enfin, l’ampleur économique est frappante : en 2022, les agriculteurs ont dépensé 2,8 milliards d’euros en pesticides, soit 5 % des charges d’exploitation.

 

*Le prosulfocarbe est le principal herbicide vendu en France (7 400 t en 2022) devant le glyphosate (5 900 t). Source : État des lieux des ventes et des achats de produits phytosanitaires en France en 2022 – Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires.

**Carte Adonis présentant par commune l’usage des pesticides au travers de l’indice de fréquence de traitement (ift) – Évolutions 2020-2022 : Télécharger la présentation des résultats

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