Le lithothamne, une algue providentielle pour Raoul Lemaire et l’agriculture Bio

C’est donc sous sa bannière qu’est lancée cette agriculture industrielle de substitution : elle devait très rapidement s’avérer dangereuse. Certes, si elle apporta la productivité recherchée, du moins pendant quelques années, elle provoqua, et là, en abondance, de nombreux effets secondaires indésirables et non des moindres… Citons, rien que pour sa mise en place, l’érosion des sols avec les opérations de remembrement pour de plus grandes superficies exploitables, le compactage des sols avec des matériels agricoles de plus en plus lourds,… et pour sa pratique, des récoltes de qualité inférieure du fait de la culture de semences choisies pour leur aptitude à faire de gros rendements, des productions déséquilibrées nutritionnellement et polluées par des apports de plus en plus massifs au fil des années d’engrais et autres produits chimiques, herbicides et pesticides. On ne peut passer non plus sous silence la désertification des campagnes entraînée par cette politique et les problèmes sociaux qu’elle a engendrés. Que nos ingénieurs et scientifiques d’alors n’ont ils mis leurs compétences au service d’une véritable agronomie écologique ? Il faut dire qu’à cette époque la puissance des lobbies de la chimie était omniprésente et que toute tentative en dehors de la doctrine productiviste officielle ne pouvait provenir que d’un obscurantisme primaire et dangereux. Des sonnettes d’alarme avaient toutefois commencé à retentir, ici et là, dénonçant les dangers de ces pratiques agricoles sur la santé des consommateurs : de nombreuses personnalités scientifiques regroupées au sein d’associations comme celles que nous avons citées dans notre précédent numéro se montraient de plus en plus pressantes auprès des Pouvoirs Publics.

Dans le monde professionnel même de l’agriculture, les vétérinaires, en contact direct et rapproché avec les éleveurs, s’inquiétaient et dénonçaient l’aberration des pratiques appliquées par leurs clients. C’est ainsi qu’à leur Congrès de Reims en septembre 1957, leur section des Hautes-Pyrénées, devant l’explosion des maladies qui frappent le cheptel et dont ils attribuent la cause au traitement du sol par la chimie, émet un voeu : apporter à la terre des produits et amendements biologiques et aux animaux une alimentation naturelle. « On veut traiter la terre par la chimie, elle se vengera en ne donnant plus rien . La terre est un produit biologique qui s’accommode mal du mariage avec tous les produits chimiques minéraux que l’on déverse sur elle » C’est dans ce contexte que Raoul Lemaire poursuit son combat pour les blés de haute valeur boulangère. En effet, depuis 1936, date à laquelle il a mis au point, en tant qu’obtenteur-sélectionneur les premiers blés de force français, il se heurte au lobby des importateurs de blés durs étrangers peu empressés, on le comprend, de voir se développer sur le territoire français la culture de ses obtentions.

Il poursuit ses recherches phytogénétiques sur le blé (aux alentours d’Angers et à l’Abbaye de Bellefontaine) et obtient en 1955 le record mondial de la valeur boulangère avec un W de 697. A contre courant avec la politique agricole d’après guerre entièrement vouée à la productivité intensive, il connaît quelques problèmes économiques et envisage de mettre un terme à ses activités de sélectionneur.

En 1957, il fait la connaissance de Charles Roudaut, industriel transformant le lithothamne, une algue riche en magnésium pêchée au large des îles de Glénan, dans son usine du Rudet dans le Morbihan. Pulvérisée sous forme de fines particules, elle est utilisée comme un simple amendement calco-magnésien sous la marque « Mouette ». Il devient alors son agent général pour sa commercialisation en France. Raoul Lemaire, fort de ses expériences sur le magnésium lui découvre d’autres propriétés, notamment celle d’activateur microbien eubiotique. Dès lors, sa conviction est faite : il est possible de pratiquer une agriculture naturelle rentable, sans produits chimiques La Communication à l’Académie d’Agriculture du 17 juin 1959 de l’Inspecteur général M. de Croutte va être déterminante pour lui. Il y est rapporté que partout où l’on emploie du lithothamne micronisé à l’Usine du Rudet (Morbihan) comme amendement, il n’y a ni fièvre aphteuse ni tuberculose. Cette Communication vient le conforter dans la mise en place qu’il vient de réaliser d’une méthode d’agriculture excluant l’emploi d’engrais NPK et pesticides chimiques.

C’est, dans un premier temps, la méthode Lemaire de culture biologique avec lithothamne qu’il va lancer avec l’aide de ses fils Jean-François et Pierre- Bernard et le concours de plusieurs de ses amis agriculteurs, commerçants et artisans du monde rural. Elle repose sur la rotation des cultures, la suppression des labours profonds au profit du sous-solage et de l’aération des sols en surface, l’amélioration de la fertilisation organique par le compostage et une fertilisation permettant de développer l’activité microbienne du sol par l’apport de fertilisants naturels à base de l’algue lithothamne distribuée désormais sous la marque « Calmagol »