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L’eau en cosmétique

À partir de ce numéro, Bio Linéaires commence une nouvelle série d’articles techniques en deux pages, consacrés à certains ingrédients majeurs utilisés dans les produits cosmétiques. Parce qu’elle est un composant récurrent d’une majorité de formules, souvent le plus important en pourcentage, dont l’intérêt multiple est néanmoins rarement évoqué, le premier de ces ingrédients à être détaillé est l’eau.

Aqua (Water)

La liste INCI (pour Nomenclature Internationale des Ingrédients Cosmétiques, en anglais), instaurée en 1973 par l’association américaine de fabricants de cosmétiques Cosmetic, Toiletry and Fragrance Association (CTFA), est obligatoire en Europe depuis 1998. C’est la liste des ingrédients composant un produit, par ordre décroissant d’importance, sauf ceux représentant moins de 1 % de sa formule, qui peuvent être présentés sans ordre précis. Dans un grand nombre de cas, on constate que le premier ingrédient cité est l’eau, nommée soit sous la forme Aqua (« eau » en latin), s’il s’agit d’une liste selon la nomenclature européenne de l’INCI, soit sous la forme Aqua (Water) s’il s’agit d’une liste intégrant en plus les dénominations selon la norme de la CTFA.

Pourquoi tant d’eau ? Officiellement, elle est classée dans les documents officiels de l’Union Européenne comme solvant, c’est-à-dire qu’elle « dissout les autres substances ». Elle est de fait le solvant le plus utilisé en cosmétique, présent dans quasiment tous les types de cosmétiques : crèmes visage et corps, lotions et toniques, déodorants, nettoyants, gommages, gels douche, shampooings et après-shampoings, produits de rasage, de coiffage, fonds de teint fluides, mascaras, parfums, dentifrices et bains de bouche, etc. Seuls les produits secs (poudres, crayons…) ou totalement gras (huiles, cires, rouges à lèvres, certains baumes, sticks déodorants ou solaires, etc.) s’en passent.

En clair, l’eau – inodore et incolore, excellente dans cette fonction – permet de diluer (et donc de transporter) des substances dites alors « hydrosolubles », comme les minéraux et les oligo-éléments, la plus grande partie des vitamines, et d’autres actifs ou même composants servant d’auxiliaires de fabrication (excipients), dont la présence est obligatoire pour obtenir telle ou telle texture désirée par exemple.

L’eau appliquée n’est pas « hydratante »

Au-delà de ce rôle de solvant, on lit parfois, en particulier sur Internet, que l’eau serait « inutile » dans les cosmétiques : elle servirait surtout à réduire le prix de revient des produits ou – contradiction  – qu’elle est vendue aux prix des actifs, rendant le produit fini plus cher. Car si tout le monde sait que l’eau est un élément essentiel à la vie et que la teneur en eau de notre peau est un facteur essentiel de sa bonne santé et donc de notre beauté, l’argument avancé est qu’on ne peut pas hydrater directement cette peau en y appliquant directement de l’eau. L’épiderme constitue une barrière, elle-même protégée par le fameux « film hydrolipidique » le recouvrant intégralement et qui est une émulsion complexe (de sébum et de sueur, entre autres). Les meilleures preuves en sont que lorsqu’on sort d’un bain, l’eau ruisselle sur notre corps, et que même si on passe des heures dans un bain, son niveau ne baisse pas, l’eau n’étant bien sûr pas absorbée par la peau. L’eau proprement dite n’est donc pas, c’est exact, un actif hydratant.

Car c’est la qualité de la barrière hydrolipidique, et avec elle celle du ciment lipidique intracellulaire, qui détermine la (bonne) teneur en eau des cellules cutanées. Rappelons que si une peau déshydratée manque effectivement d’eau, la peau sèche manque elle de lipides, perdant facilement son eau, la barrière protectrice étant affaiblie. En d’autres mots, si en général une peau sèche est donc aussi déshydratée, l’inverse n’est par contre pas forcément vrai, les deux phénomènes étant cependant étroitement liés. L’eau des cellules, venue du derme, issue de notre alimentation, retenue par certains composants qui en proviennent aussi (ou des produits cosmétiques) s’évapore en permanence, sous forme gazeuse (perspiration : on parle de perte d’eau transépidermique, en anglais TEWL) ou par la sueur.

Mais si l’eau pure n’est donc pas directement hydratante, quand elle est associée finement avec d’autres substances (émulsion avec des lipides, mélange avec de la glycérine…), elle peut être absorbée par la peau. D’autres actifs hygroscopiques (retenant l’eau) peuvent également être utilisés dans ce but, comme des liposomes ou des polymères (acide hyaluronique par ex.)

L’eau, actif « multifonction »

Contrairement à ce qu’on lit également souvent, si l’eau est a priori « inerte » dans un cosmétique, il est faux de dire que ce n’est pas un « actif », même quand elle n’est pas particulièrement très riche en minéraux, car son rôle est essentiel, à de nombreux égards, permettant au produit cosmétique d’être actif et donc efficace.

Son premier rôle est de permettre la construction des émulsions avec les lipides, eau et lipides n’étant bien sûr pas miscibles entre eux : émulsion huile dans eau lorsqu’il y a plus d’eau que de lipides (émulsion légère), et eau dans huile lorsque c’est l’inverse (émulsion épaisse). Ces émulsions sont indispensables pour entretenir le film hydrolipidique, qui est lui-même une émulsion. Dans ces émulsions, l’eau sert, comme dit plus haut, de support (véhicule) à des nutriments utiles à la peau qu’elle peut dissoudre, dont les fameux facteurs naturels d’hydratation (en anglais NMF), un ensemble de substances permettant de fixer et d’assurer l’hydratation de la couche cornée de l’épiderme. L’eau peut aussi être une autre forme de support, en accueillant en suspension des actifs qui ne s’y dissolvent pas.

Essentielle pour une bonne galénique

Sur le plan galénique, l’eau permet aussi, ne l’oublions pas, d’obtenir des formules à la texture et à la fluidité qu’exige leur emploi : il n’est pas facile d’étaler sur la peau un produit trop épais et on imagine mal se nettoyer les cheveux avec un produit qui ne se répartirait pas bien. Dans un gel, l’eau sert par exemple de support à la molécule gélifiante qui en construit la structure, gel qui peut être lui-même un actif ou un support d’actifs. Par ailleurs, certains produits ne doivent pas être gras du tout (ex. un tonique pour le visage) ou doivent laisser une impression de fraîcheur, comme peut le faire un gel. Un produit de soin, c’est aussi une promesse de facilité d’emploi ! On arrive ainsi au final à une grande diversité de formules aqueuses, en fonction de l’usage attendu des produits (exemples non exhaustifs) : suspensions (fond de teint) ; solutions vraies, aqueuses ou hydro-alcooliques, l’eau et l’alcool étant miscibles (lotions visage, parfums) ; solutions gels (gels douche, shampooings, gels coiffants) ; émulsions (laits, crèmes, masques). Les lotions et gels aqueux (type shampooings et gels douche) peuvent ainsi contenir jusqu’à 95 % d’eau, et les émulsions de 60 à 85 %.

Certes, on arrive souvent alors à des teneurs en principes actifs stricto sensu de quelques % seulement, quand ce n’est pas 1 % seulement. Mais là aussi, l’eau (comme les lipides pour des actifs liposolubles) joue un rôle important. Nombreux sont les actifs (minéraux, oligo-éléments, vitamines, phytonutriments…) qui sont efficaces à raison de quelques milligrammes voire microgrammes. De plus, certains actifs nécessitent vraiment d’être microdosés, car la limite est parfois ténue entre action bénéfique et agressivité, voire toxicité potentielle. Or on peut difficilement imaginer doser (peser) chez soi de si petites quantités. L’idéal est donc de les disperser (dissoudre) dans un volume important d’une substance « véhicule », que l’on n’aura aucun mal à doser au moment de l’emploi. Au final, l’eau, même pure, est bien un ingrédient clef des cosmétiques, et est bien loin d’être un composant « mort ».

La qualité de l’eau

Intrinsèquement, l’eau, source de vie, est bien entendu non nocive et très bien tolérée. Mais elle peut contenir des impuretés, des polluants (ex. métaux lourds), des germes (bactéries, levures, moisissures) et autres substances pyrogènes (susceptibles de provoquer de la fièvre), des sels minéraux indésirables, etc. Qu’elle soit eau de mer (salée), du réseau, de source, thermale, elle doit donc répondre à certains critères qualitatifs, avant de pouvoir convenir à un emploi cosmétique. Pour obtenir une eau de qualité cosmétique, on peut par exemple la distiller (évaporation à la chaleur puis refroidissement), ce qui donne néanmoins une eau certes stérile, mais également sans minéraux. Le traitement par osmose inverse (passage de l’eau au travers d’une membrane semi-perméable, de la solution la moins concentrée vers la solution la plus concentrée), permet d’obtenir une eau déminéralisée mais non stérile. L’ultrafiltration (à travers des membranes spécifiques) permet d’obtenir une eau stérile et partiellement déminéralisée… Des méthodes qui sont bien entendu complémentaires et peuvent être aussi associées à une filtration sur charbon actif (élimination des substances organiques), un traitement (désinfectant) aux UV, etc.

Des eaux « actives »

Bien entendu, à l’instar des minéraux, l’eau ne peut pas être certifiée bio. Mais les hydrolats (appelés aussi eaux florales lorsque la partie de plante concernée est la fleur) peuvent bien sûr l’être. Ils sont obtenus au moment de l’extraction des huiles essentielles par distillation, étant le résidu condensé de l’eau qui a servi (sous forme de vapeur) à entraîner ces huiles essentielles, facilement séparables de cette eau car grasses et donc non miscibles. Les hydrolats contiennent ainsi, dans une concentration bien moindre, les mêmes molécules que les huiles essentielles correspondantes. La critique parfois émise est que ces eaux florales permettent d’augmenter « artificiellement » la teneur en ingrédients bio d’un produit, mais la règle est ainsi fixée. L’important est simplement de le savoir, en se disant qu’un hydrolat est dans sa globalité un actif, aux mêmes propriétés – bien qu’adoucies – que l’huile essentielle dont il est dérivé. Une partie de la phase aqueuse d’un cosmétique peut, de même, être un extrait aqueux (ou hydro-alcoolique) d’une plante bio, là aussi également comptabilisé parmi les ingrédients bio. L’eau ne peut pas ici, non plus, être « critiquée » : elle est dans ces cas le vecteur idéal, parfaitement naturel, pour transporter les actifs hydrosolubles offerts par ces plantes.

Enfin, pour terminer, n’oublions pas certaines qualités d’eau intéressantes, comme les eaux de source, les eaux minérales naturelles (origine souterraine, avec une stabilité dans le temps des éléments physicochimiques essentiels) et surtout, pour les peaux sensibles et allergiques notamment, les eaux thermales dont la composition chimique particulière leur confère en plus certaines propriétés favorables à la santé reconnues par l’Académie nationale de médecine. Ces eaux sont riches en minéraux et oligo-éléments, et plus il y en aura dans un cosmétique, plus l’apport en nutriments sera bénéfique. Nombreuses sont les études cliniques qui ont démontré en effet qu’un cosmétique formulé avec une eau thermale possède une efficacité « cosméceutique » supérieure en comparaison du même produit, mais formulé avec de l’eau désionisée.

Michel Knittel

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