
Co-dirigeant de Nature & Cie, pionnier français du sans gluten bio, Fabrice Fy revient pour Bio Linéaires sur près de vingt ans d’évolution du marché du sans gluten. Avec un regard sans concession, il éclaire les enjeux d’un secteur encore trop timide en France, particulièrement en réseau bio, et son potentiel de développement, à condition d’une mobilisation collective. Une interview exclusive, riche en enseignements, à lire en complément de notre dossier sur le marché du sans gluten en France et à l’international.
Bio Linéaires Comment percevez-vous l’évolution du marché du sans gluten en réseau Bio, à la fois sur le court et long terme ?
Fabrice Fy : Sur le long terme : d’un point de vue général, il faut tout d’abord signaler que le marché du sans gluten est une niche et quand on a démarré, en 2006, personne n’en parlait et nous étions déjà très en retard par rapport à nos voisins étrangers. À partir de là, les choses n’ont pu qu’évoluer car on partait en France de pas grand-chose. L’impact de la communication a été important dans le développement du marché. Même si le marché évoluait doucement, c’est en 2012 – suite à l’effet Djokovic – que le marché a vraiment décollé et a amené la grande distribution à s’emparer du sujet. Toutes les grandes marques se sont servies du phénomène, ce qui a fait du bien au marché du sans gluten dans sa globalité.
« Quand nous avons commencé en 2006, l’Afdiag avait une demande de certification par an : en 2017, c’était une par jour ! » Fabrice Fy
Cette tendance s’est poursuivie jusqu’en 2016. Du coup, cela a généré une forte croissance, intéressante pour les acteurs déjà présents sur le marché mais a aussi suscité beaucoup d’intérêt auprès de nombreux fabricants spécialisés, ou non, qui ont lancé des gammes sans gluten et qui ont fortement augmenté l’offre, donc la concurrence. Pour preuve, quand nous avons commencé en 2006, l’Afdiag avait une demande de certification par an : en 2017, c’était une par jour !
Certains acteurs, comme les meuniers, n’ont pas vu d’un bon œil l’évolution de ce marché qui, au départ, ne devait être réservé qu’à une population d’intolérants, soit 1 à 2 %. Mais le fait qu’il puisse toucher « les sensibles au gluten », pouvant représenter 10 à 40 % de la population, a commencé à inquiéter le secteur de la meunerie ! Ainsi, un lobbying a été mis en place pour contrer le marché du sans gluten en démontrant, étude nutritionnelle à l’appui, que les produits sans gluten n’étaient pas spécialement bons sur le plan diététique – trop gras, trop sucrés, etc. – en un mot : des produits industriels et ultra transformés. L’impact sur le marché a été immédiat. Un article dans 60 Millions de consommateurs a ciblé les mauvais côtés des produits sans gluten. Même si nous – Nature & Cie – nous n’étions pas réellement concernés, le marché s’est retourné, la crise a commencé et plus particulièrement dans le réseau bio.
Après deux années très difficiles, ce n’est qu’en 2019 que le marché est reparti. L’arrêt d’activité de certains opérateurs, donc moins de concurrence, moins de communication négative sur le sans gluten ont permis de relancer le marché.
« Nature & Cie a fait une progression de +13 % en volume chez Biocoop en 2024 »
Dans le réseau bio, les années 2023-2024 ont été très disparates. Contrairement à d’autres, des enseignes comme Biocoop ont bien fonctionné. Ceux qui ont bien travaillé le sujet du sans gluten ont plutôt mieux performé. Par exemple, chez Nature & Cie, nous avons fait une progression de +13 % en volume chez Biocoop en 2024.
BL : Selon vous, quelles sont les perspectives pour le marché du sans gluten sur les deux à trois ans à venir ?
F. F. : Au final, le sans gluten a plutôt bien résisté à la crise, c’est une bonne chose. Cela montre qu’il y a du potentiel quand on travaille bien le sujet. Toutefois, quand on compare avec d’autres pays étrangers, on est très en retard. Il faut donc que notre écosystème – les fabricants, les distributeurs, l’Afdiag, les associations de consommateurs, etc. – se « bougent » et se remettent en question. Si les autres pays y sont arrivés, si les marchés sont beaucoup plus importants, pourquoi pas chez nous ?
Il faut reprendre la parole, analyser ce que font nos voisins, mieux faire connaître la problématique de la maladie, la sensibilité au gluten, présenter les principaux opérateurs, refaire un « peu » ce qui avait été fait en 2012 avec Djokovic. Rassurons-nous, car les acteurs du marché préparent actuellement des actions pour repositionner le sans gluten et lui redonner un nouveau souffle !
Propos recueillis par Antoine Lemaire