Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Quelle cosmétique (bio) en 2050 ? une réflexion sur un avenir pas si éloigné que cela.

De la difficulté de se projeter dans le futur

1976 c’était hier à peine et 2050 c’est bientôt demain : beaucoup d’entreprises seront alors dirigées par de jeunes actifs qui ont aujourd’hui autour de 25 ans…

Le futur arrive toujours plus vite qu’on ne le pense et mérite à n’en pas douter que l’on essaie de s’y projeter, un exercice qui a déjà été tenté, à propos de cosmétique bio, dans ces pages. Nos lecteurs qui ont de la mémoire ou conservent pieusement nos anciens numéros se souviendront qu’un précédent article, publié dans le n° 22 de mars/avril 2009, avait déjà essayé de leur ouvrir une fenêtre sur l’avenir, plus précisément sur 2029. Intitulé « Cosmétiques naturels : les leçons du futur », il abordait nombre d’éléments intéressants, mais était limité à une page et ne pouvait donc pas aborder la problématique dans toute sa complexité. Il avait été de plus écrit en pleine explosion de la cosmétique bio, croissance qui s’est bien ralentie depuis, même si elle reste sensible.

Autant de raisons de se repencher sur le sujet. Mais avec les précautions qui s’imposent, tant il est di cile (!) de se procurer une boule de cristal e cace, et donc très facile de se tromper. Ceux qui appartiennent à notre génération – avouons-le, nous sommes né en 1958 – se souviendront que dans notre enfance on nous avait promis pour l’an 2000 – « réalités prévisibles basées sur des données scienti ques » (sic) – des villes sous-marines, des voitures volantes à moteur nucléaire, des steaks de pétrole voire des pilules-repas, la colonisation de la Lune ou même de Mars. À l’inverse, qui avait prévu Internet, la téléphonie mobile ou les GPS, ou bien, sur un autre plan, l’e ondrement du bloc soviétique, le réchau ement climatique ?

Nombreuses furent de tout temps les prédictions erronées, comme le directeur de la 20th Century Fox a rmant en 1946 que « La télévision n’aura de succès que pendant six mois. Le public se lassera vite de regarder passivement un meuble en bois tous les soirs » ou le président d’une société d’ordinateurs disant en 1977 que « Un particulier n’a aucune raison d’avoir un ordinateur chez lui ». On relèvera que le monde de la beauté ne semble pas par contre avoir très inspiré les futurologues ou autres visionnaires. Tout au plus a-t-on parfois imaginé que les soins seraient « robotisés » à domicile (comme le montre notre illustration)… Mais nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article.

Un proche futur déjà caduc !

Lorsqu’à partir de 2005/2006 la cosmétique bio a connu l’e ervescence que l’on sait, suite à un « effet domino » lié à la

polémique sur les parabens entre autres, on a pu lire un peu partout, en 2008 (soit il y a 5 ans à peine), que « la part des ventes cosmétiques bio et naturels par rapport aux ventes de cosmétiques en général est passée de 1 % en 2005 à 4 % en 2008 » et que « les analystes prévoient que ces cosmétiques représenteront 10 % du marché à l’horizon 2010-2012 et d’ici 5 ans 30 % du marché total des cosmétiques ».

Des chi res qui à l’époque nous laissaient assez dubitatifs, au vu de la réalité du terrain, et les faits nous ont donné raison. En 2009, beaucoup d’articles annonçaient encore cette même part de marché de 30 %, mais du coup « reculée » à l’horizon 2013, et idem dans d’autres parus en 2010, repoussant encore l’échéance à… 2015. No comment. Or, début 2012, le cabinet d’études Deloitte estimait que les cosmétiques naturels et biologiques n’avaient en 2011 que 2 % du marché mondial, avec un record de 6,5 % « pas plus » en Allemagne. Il prévoyait à court terme pour la France, sous réserve du maintien d’un taux de croissance annuel de 10 à 12 %, une part de marché de 3,3 % à l’horizon 20151. Ce marché reste néanmoins attractif, sa croissance étant supérieure à celle de la cosmétique « conventionnelle ». Mais il est surtout di cile de savoir de quoi on parle. Ainsi rien que pour l’Allemagne, pour laquelle on dispose d’assez bon chi res grâce au Naturkosmetik Branchenreport 2012, la part de marché est donc de 6,5 % pour la « vraie » cosmétique certi ée, part à laquelle il faut ajouter les 7,8 % de la cosmétique « proche de la nature ». Et si on sait aussi qu’en termes de proportion du marché

de la cosmétique naturelle, au sens large, l’Asie représente 37 % du marché mondial, suivie par l’Europe avec 21 % et les Etats-Unis avec 17 %, le problème est que sur ces di érents continents, voire dans le détail dans les di érents pays concernés, on ne parle pas de la même chose : ce qui est cosmétique bio ou naturelle pour un pays ne l’est pas forcément pour l’autre. Dans d’autres cultures, en Inde ou en Extrême-Orient par exemple, la notion même de recours à la nature, tant pour la beauté que pour la santé, est comme on le sait très di érente de la nôtre.

Ce n’est pas sans conséquence lorsque des cosmétiques sont alors conçus dans ces pays et il peut même y avoir une certaine forme d’incompréhension mutuelle. D’autant plus qu’il est rare que l’on puisse connaître les traditions et/ou les normes « étrangères ». Nous avons ainsi récemment rencontré la représentante d’une marque de cosmétiques « naturels » japonais qui nous a rmait que le standard bio nippon Eco t qu’ils respectent est le « le plus exigeant au monde ». Mais comme en l’absence de la moindre liste INCI « lisible » sur les produits (tout était écrit en japonais), nous ne pouvions pas le véri er en étudiant la composition de près, nous l’avons alors interrogée sur le sujet. Elle fut bien incapable, malgré les autres personnes de l’entreprise autour d’elle, de nous con rmer les conservateurs autorisés ou le pourcentage d’ingrédients bio, un point auquel tout commercial d’une marque française ou allemande aurait a priori répondu sans détour…

Comment peut-on dès lors extrapoler, au niveau mondial, les parts de marché de la cosmétique naturelle si celle-ci n’est pas dé nie (évaluée) selon les mêmes critères, si nous ne parlons pas de la même chose ? Là est bien le problème des projections et chi res mondiaux livrés régulièrement par certains cabinets d’études. Certes, les cahiers des charges encadrant précisément la cosmétique naturelle et/ou bio les plus anciens (1998 pour Nature & Progrès, 2001 pour le BDIH, 2002 pour Cosmébio) n’ont au mieux que 15 ans. Et la « nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques » ou INCI (abréviation de International Nomenclature of Cosmetic Ingredients), liste complète des ingrédients dans l’ordre décroissant de leur quantité et sous une dénomination normalisée, n’existe que depuis 1973, c’est-à-dire il y a exactement 40 ans, et n’est obligatoire en Europe sur les étiquetages que depuis 1998. Ceci signi e que d’ici 2050, et même avant, bien des choses destinées à « bien dé nir » la cosmétique naturelle et bio peuvent encore changer… et surtout apparaître ! Les optimistes diront d’ailleurs que nous aurons sans doute le fameux « label international » tant espéré bien avant en 2050.

Le risque d’un nivellement par le bas ?

N’est-il d’ailleurs pas en route, ce fameux label ? Depuis 2010, on sait en e et que l’ISO (pour « organisation internationale de normalisation » en anglais) travaille sur un projet de norme intitulé « Lignes directrices relatives aux dé nitions et critères techniques pour les ingrédients et produits cosmétiques naturels et biologiques » (projet ISO/NP 16128). Cette norme est attendue pour 2014… Bien que, là-aussi, on commence déjà à parler de 2015. Mais dès son annonce, nombreux ont été ceux, dont des

journalistes, à annoncer, à l’heure où la certi cation internationale NaTrue se mettait déjà en place et où Cosmos essayait de faire de même, que le « standard international tant souhaité » allait en n arriver.

Le problème est que les di érences « historiques » et culturelles évoquées plus haut ne facilitent pas le consensus et ne peuvent que ralentir les discussions. Pour s’en persuader, il su t de regarder les di cultés à se mettre déjà d’accord au niveau européen ! Et nous ne parlons pas seulement de la coexistence des deux cahiers des charges NaTrue et Cosmos. Ainsi, en Allemagne, la certi cation ICADA continue sur sa propre voie indépendante2, mettant en avant une « cosmétique bio et naturelle authentique pour le magasin spécialisé ». Rappelons aussi la création récente du NCS alias Natural Cosmetics Standard, qui se présente comme offrant « une solution pour les entreprises qui ne se reconnaissent pas dans les activités des associations et qui cherchent une certi cation produits indépendante des travaux et des standards de celles-ci, et donc aucun frais lié à l’appartenance à une association ou aux droits de logo »3… Sans oublier, pour rester en France, Nature & Progrès, ou à l’international Demeter, qui gardent leurs propres exigences et donc leurs cahiers des charges. Pour la petite histoire, lors d’une table ronde sur la cosmétique naturelle organisée lors du salon Natexpo 2005, à laquelle nous avions participé, et où un futur « label européen » était évoqué, le représentant de Nature & Progrès avait déclaré : « Nous ne savons pas ce que sera ce label, mais nous sommes contre ».

Derrière cette a rmation se cachait bien entendu la crainte, loin d’être injusti ée, d’un « nivellement par le bas », car pour trouver le consensus susmentionné, plus on est de participants, plus il faut généralement faire des concessions, trouver une sorte de « plus petit dénominateur commun ». C’est d’ailleurs pour cela qu’au sein même des certi cations actuelles, et comme nous l’avons évoqué dans un précédent article, nombreuses sont les marques qui cherchent à se di érencier en ajoutant d’autres logos spéci ques voire personnels au logo de la certi cation qu’ils respectent, pour marquer leur di érence par rapport au « tronc commun ».

Une normalité banalisante ?

Et à ce propos, la future norme ISO n’est pas faite pour rassurer la plupart des entreprises pionnières certi ées BDIH, NaTrue, Cosmébio ou Cosmos. Car la présence des grands groupes de cosmétique conventionnelle dans les tables rondes autour de l’ISO est pour elles signi cative : ces grands groupes ont tout intérêt à ce que la cosmétique naturelle et bio soit la plus largement dé nie, ce qui leur permettrait de s’a cher naturel ou bio sans s’astreindre aux critères exigeants des standards actuels. La forte tendance au green washing, que nous avons souvent évoquée dans ces pages, n’est en plus pas faite pour rassurer.

En clair, une norme qui dans un futur plus ou moins proche ferait que la cosmétique se… normalise « par le bas » risque en fait d’en

diluer l’essence même. Lors d’une réunion professionnelle récente, une « experte » n’annonçait-elle pas la disparition « à terme » des certi cations bio, car « largement dépassées » ? Et ce parce que « les valeurs porteuses qu’elles garantissaient deviennent en e et la norme pour toute l’industrie, et de façon beaucoup moins restrictive. En quelque sorte, la norme générale pour toute l’industrie devient : le bio, mais en mieux et en plus global. Les certifications bio constitueront donc de moins en moins un critère différenciant, risquant de ne garder que leurs aspects pénalisants ».4 Un point de vue largement discutable…

Que la cosmétique bio devienne, dans nos rêves optimistes d’une beauté plus saine, la « norme », n’est par ailleurs pas sans présenter non plus un autre risque. Cette normalisation, globalisation devrait-on dire, créerait de vraies « marques mondiales » avec des enjeux  financiers énormes. Pas seulement pour les acteurs réguliers (dans tous les sens du terme) de ce marché mais aussi pour d’autres. Et nous pensons là à la contrefaçon qui est, selon l’avis même des spécialistes, une des principales activités du crime organisé. On parle souvent des faux médicaments qui représentent près de 10 % du marché pharmaceutique mondial, soit un marché de plus 75 milliards de dollars en 2010 selon l’OMS. Pour le marché mondial de la parfumerie et des cosmétiques, c’est exactement la même proportion. Une contrefaçon dopée par « la mondialisation, la dématérialisation des échanges commerciaux, l’avènement des technologies de l’information et le développement des moyens de paiement électroniques [qui] ont ouvert la voie à la cybercontrefaçon ».5 Alors que tant qu’elle reste un assemblage de « micro-marchés » avec des diffrences spécifiques, la cosmétique bio n’intéressera sans doute pas les contrefacteurs.

Cependant, le poids des normes qualitatives applicables à la cosmétique (au-delà du bio), leur coût de mise en oeuvre, les questions d’économie d’échelle et de rentabilité, et un marché qui, pour les raisons évoquées plus haut restera sans doute assez longtemps handicapé par la difficulté de parler de la « même » cosmétique bio, ce qui en ralentit la croissance, exposent probablement ce marché à une concentration prochaine inévitable du nombre des acteurs, comme le soulignent certains professionnels.

Peu de consommateurs savent d’ailleurs que déjà beaucoup de « petites » marques de cosmétique bio actuelles ne fabriquent pas du tout leurs produits, mais ont recours à des façonniers, qui sont souvent les mêmes car guère nombreux. La vision idéalisée d’une cosmétique bio faite dans le futur à la fois d’un « label mondial » et de micro-marques locales ne semble donc pas correspondre à la réalité du terrain et aux pressions tant commerciales que normatives. Il su t de comparer avec l’agroalimentaire : combien y avait-il, il y a 40 ou 50 ans, de laiteries-fromageries ou de brasseries locales et combien en reste-t-il aujourd’hui ? Et les exigences réglementaires et techniques en cosmétique, souvent inspirées de la pharmacie, sont largement aussi fortes qu’en alimentaire. Pour que la cosmétique bio puisse à la fois garder son authenticité et survivre économiquement, la bonne taille se situe sans doute entre le trop petit et le trop gros… Dans une interview récente 6 parue dans Le Journal des Entreprises, le philosophe et

physicien Marc Halévy a émis l’idée qu’en 2050 « l’entreprise sera de petite taille, à haut degré de valeur ajoutée. Elle fonctionnera dans une économie de proximité et en réseau avec les autres. Ce sera la  n de l’américanisation, d’une vision  financière et industrielle – au sens volumique – de la société ». Mais dans une planète plus ou moins sans frontières, par « proximité » il faut plus que probablement entendre pour la cosmétique, pour les raisons évoquées plus haut (normes, rentabilité…) une « région » à l’échelle d’un continent, pas à celle d’un pays ou d’une province. Et une vraie cosmétique bio éthique,  fidèle aux valeurs qui ont conduit à sa naissance, peut représenter ce « haut degré de valeur ajoutée » nécessaire.

Sans oublier qu’il existe une tendance lourde dans notre société : celle à plus de sécurité, tant dans les domaines de la santé que de la vie courante et de tous les produits industrialisés : grâce à l’avancée des sciences et des techniques, les médicaments sont plus sûrs, les véhicules (terre, air, mer…) aussi, les installations électriques, les composants des produits manufacturés, etc. même s’il y a bien sûr encore d’énormes progrès à faire dans de nombreux domaines, et de réguliers et graves « incidents de parcours ». Mais il faut admettre que c’était loin d’être « mieux avant ». Cette pression réglementaire, qui n’est sans doute pas prête de se relâcher, car ce serait contraire à notre « culture », ne pousse donc pas à croire non plus que « demain », la cosmétique bio, parce que naturelle, aura aussi officiellement des vertus préventives pour notre santé. Pharmacie et beauté sont des mondes réglementairement séparés et cela risque de ne pas changer avant très longtemps. Il n’y a qu’à voir actuellement, suite à l’a aire des prothèses mammaires, la demande d’exigences encore plus strictes pour la catégorie dont font partie ces prothèses (mais aussi des crèmes ou d’autres produits avec des allégations santé), à savoir les « dispositifs médicaux ».

Quelles limites pour la « chimie verte » ?

Exigences, normes, cahier des charges… Ce n’est pas révéler un secret que de dire que des ingrédients aujourd’hui certifiés ne l’auraient pas été il y a peu encore ou n’existaient pas en qualité « certi able », et ce que grâce aux « avancées » de la chimie verte. Et d’aucuns de poser la question : la cosmétique bio doit-elle aller vers un retour à la « vraie nature » ou bien peut-elle s’engager vers la voie d’une chimie reproduisant les procédés que nous offre la nature ? Globalement, nous allons sans le moindre doute vers une chimie plus « verte », c’est-à-dire qui utilise des ressources renouvelables, produit moins de déchets et surtout des déchets non polluants et non toxiques, consomme moins d’énergie, s’inspire des procédés naturels, etc7. On verra donc de plus en plus de cosmétiques valorisant des sous-produits naturels inutilisés

4) « Cosmétiques : pourquoi le bio ne marche pas », http://pro.observatoiredescosmetiques. com , rubrique L’actualité des cosmétiques du 30 janvier 2013.
5) Note de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGIS, ministère du Redressement productif et ministère de l’Artisanat, du commerce et du tourisme) en date du 7 mai 2013.
6) 26 avril 2013.
7) L’American Chemical Society (ACS) a dé ni les « 12 principes de la chimie verte » :
http://portal.acs.org/portal/PublicWebSite/greenchemistry/about/principles/WPCP_007505

Autres informations

La référence pour les professionnels de la distribution bio spécialisée et alternative

Cookie policy
We use our own and third party cookies to allow us to understand how the site is used and to support our marketing campaigns.