Il procède alors, aidé par quelques uns de ses amis agriculteurs et autres domaines comme l’abbaye de Bellefontaine (Maine et Loire) où il poursuit ses recherches sur les blés de qualité, à de nombreux essais culturaux.
Les résultats obtenus sont conformes à ce qu’il en espérait, notamment en élevage qui, à cette époque, était en proie à de graves problèmes de fièvre aphteuse et de tuberculose. Il met alors en évidence d’autres propriétés au lithothamne que celle qui lui était alors attribuée par la réglementation, à savoir celle de simple amendement calcaire et magnésien : en tant que véritable concentré d’eau de mer (puisque le lithothamne ne se développe que dans l’eau de mer, sans aucune attache avec les fonds marins), le magnésium qu’il contient lui apporte, ce qu’avaient révélé les travaux du biologiste René Quinton, des propriétés régénératrices et réequilibrantes qui lui confèrent un pouvoir anti-infectieux.
Il décide alors à 75 ans, de rajouter à son combat pour les bons blés, combat qu’il mène déjà depuis plus de 30 ans, celui pour une agriculture naturelle, sans poison, respectueuse de l’agronomie, des lois de la nature et de l’environnement. La tâche n’est pas facile d’autant que les ressources que lui apporte son activité de sélectionneur-semencier sont insuffisantes du fait d’une politique agricole exclusivement dirigée vers le productivisme à outrance au détriment de la qualité et qu’il n’ignore pas les difficultés qu’il va devoir surmonter dans ce nouveau défi. Deux de ses fils, Jean-François et Pierre-Bernard, le suivent dans cette aventure. Si, aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, l’agriculture biologique est reconnue officiellement et même enseignée dans les écoles, il faut savoir que tel n’était pas le cas à la fin des années 50 : elle n’existait pas… sauf, selon les termes employés alors par les services officiels rattachés au Ministère de l’Agriculture, chez quelques rares «illuminés» ou «sectaires» et chez les «mauvais agriculteurs ». Tout l’enseignement agricole était basé sur la trilogie NPK (azote-phosphore-potasse), le sol n’étant alors considéré que comme un simple support et il était inconcevable de ne pas utiliser d’engrais chimiques pour récolter quelque chose.
C’est alors qu’avec ses fils, Raoul Lemaire parcourt les campagnes de France, à la rencontre de ses clients négociants/coopératives (1) et agriculteurs pour engager les uns à l’accompagner dans sa nouvelle démarche et inciter les autres à travailler autrement et à fertiliser naturellement leurs sols Parce qu’ils connaissent l’homme et son implication dans la défense du monde agricole tant sur le plan professionnel que politique, de nombreux agriculteurs lui font confiance : ils consacrent quelques hectares de leurs cultures et se procurent le lithothamne «Calmagol» (2) nécessaire.
Par contre, il se heurte à un refus de coopérer (sauf quelques exceptions) de la part des négociants et coopératives : aucuns ne croyaient à la réussite de son entreprise qui allait, de plus, à l’encontre de leurs intérêts. Il se tourne alors, pour donner une dimension nationale à son action, vers quelques uns de ses amis, artisans et commerçants, tous d’origine rurale qu’il côtoie à l’UDCA (Union de Défense des Commerçants et Artisans) où il est militant actif et respecté. Beaucoup le suivent et bien que nombre d’entre eux ne disposent pas d’une formation agricole (ce qui était d’ailleurs préférable compte tenu de l’enseignement dispensé alors), ils grossiront les rangs des véritables pionniers de l’agriculture biologique.
Des visites de culture sont organisées et c’est par cars entiers que des agriculteurs viennent se rendre compte sur place des résultats obtenus.
Le frère Jean-Marie de l’abbaye de Bellefontaine est particulièrement sollicité ainsi que les premières fermes à avoir changé leur mode de culture et supprimé tout apport chimique. Les agriculteurs qui reviennent convaincus de leurs visites entament alors la «reconversion» de leurs cultures, certains sur la totalité de leur exploitation, d’autres progressivement. Les résultats qu’ils obtiennent sont généralement bons surtout dans les fermes d’élevage mais, face à l’expansion, le suivi technique apporté par l’organisation mise en place entretemps par la Sté Lemaire devient trop juste. La constitution d’un véritable service technique devient nécessaire. Celle- ci sera assurée en 1964 avec l’arrivée du Professeur Jean Boucher au sein de l’équipe .
(1) dans les années 50-60, la très grande majorité des coopératives agricoles ne rassemblaient des adhérents qu’en nombre limité, généralement situés sur un ou deux cantons, parfois un arrondissement : elles étaient ainsi proches d’eux, de taille humaine, aptes à défendre leurs intérêts. Rien à voir avec les monstres d’aujourd’hui issus de regroupements à répétition, devenus de véritables industries agro-alimentaires où l’adhérent se trouve plus asservi à leurs exigences que coopérateur.
(2) à partir de fin 1960, c’est sous cette marque que sont distribués le lithotamne et ses produits dérivés conseillés par Raoul Lemaire pour leur utilisation en agriculture sans engrais chimique. CAL pour calcium, MAG pour magnésium et OL pour oligo-éléments, toutes substances contenues dans le lithotamne