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Le « Cradle to Cradle » : le nouveau défi de la cosm’éthique bio de demain ?

La cosmétique naturelle, puis bio, puis équitable, puis durable, puis…

À l’aube de l’Humanité, la cosmétique, cet art qui consiste à enjoliver le corps pour des raisons sociales, religieuses voire magiques, fut d’emblée naturelle, l’homme préhistorique s’enduisant le corps avec des colorants minéraux ou végétaux. Parfums, onguents, khôls pour les yeux,… furent largement utilisés par les femmes (et les hommes) de l’Antiquité. Puis, avec le développement d’un artisanat spécialisé parfois quasiindustriel, et parallèlement avec les balbutiements de la chimie, on commença à employer des produits un peu moins « naturels » et surtout étrangers au corps humain, comme la fameuse poudre de céruse, un sel de plomb tout ce qu’il y a de plus toxique. Mais c’est surtout l’explosion de la chimie du pétrole au 19e siècle qui vit l’apparition d’une véritable industrie de la beauté basée sur le synthétique, avec des entreprises dont certaines existent encore aujourd’hui. Loin de nous l’idée de dire qu’en matière de beauté et de santé c’était mieux « avant », car les conditions de vie étaient autrefois terribles, et on mourrait bien plus jeune, entre malnutrition, hygiène déplorable et maladies infectieuses imparables. Et même les cosmétiques « naturels » étaient parfois à haut risque, comme avec la belladone, dont le suc était appliqué dans les yeux pour dilater la pupille et donner un regard plus « brillant » et donc plus séduisant : la belladone contient de l’atropine, puissant neurotoxique et donc poison mortel.

La prise de conscience, passé la seconde moitié du 20e siècle, de la fragilité de l’environnement, d’un empoisonnement lent mais sûr en raison d’une pollution grandissante, et aussi l’évolution des connaissances sur la sécurité parfois « limite » de certains ingrédients alimentaires et cosmétiques, fut à l’origine d’une nouvelle cosmétique, plus naturelle, renonçant aux ingrédients les plus douteux. Arriva ensuite l’ère de l’agriculture bio certiée, et la possibilité pour les industriels cosmétiques de fabriquer leurs produits en conformité avec des cahiers des charges précis et exigeants. Si les pionniers en la matière furent sans nul doute nos voisins allemands, avec d’abord l’association de détaillants de la Neuform, et plus tard le BDIH pour une véritable certication de « cosmétique naturelle contrôlée », en matière de bio stricto sensu, les pionniers sont par contre à trouver dans l’Hexagone, avec Nature & Progrès puis Cosmébio.

Mais parce que les valeurs de la bio, c’est-à-dire celles du respect de la nature et de la terre ne sont pas éloignées de celles de l’humain, d’autres notions sont venues rapidement se greer, en particulier celle de commerce équitable, avec un label spécique. Et comme de l’équitable au social il n’y a qu’un pas, la cosmétique bio authentique et pionnière s’est rapidement engagée dans ce qui est

devenu il y a quelques années la RSE, alias responsabilité sociétale (ou sociale) des entreprises, « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire1» . En d’autres termes, et comme le dénit le Ministère français de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, une « contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. La démarche consiste pour les entreprises à prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leur activité pour adopter les meilleures pratiques possibles et contribuer ainsi à l’amélioration de la société et à la protection de l’environnement ».

En cosmétique, cela se traduit notamment chez nous par le référentiel ESR (Equitable, Solidaire, Responsable) mis en place en 2007 par Ecocert, cahier des charges qui « s’adresse aux opérateurs souhaitant valoriser leur implication dans des projets alliant agriculture biologique et commerce équitable ». Ce référentiel « intégral » inclut ainsi non seulement une « certication biologique exigée pour tous les produits », mais aussi des critères de « solidarité et responsabilité ».

À ce jour une vingtaine d’entreprises cosmétiques est certiée ESR.

Développement durable ou impact carbone sont ainsi devenus des leitmotivs dans la communication des entreprises, même lorsque leur activité est à mille lieues de produits liés à la nature. Mais d’aucuns s’inquiètent aujourd’hui que compenser son bilan carbone n’est pas susant. Et ils poussent un cri d’alarme qui amène à une réexion plus profonde.

 

La cosmétique peut-elle être, est-elle « durable » ?

Lors du Naturkosmetik Branchenkongress de Berlin en septembre dernier (voir Bio Linéaires n°44 de Novembre/Décembre 2012), un des intervenants, le professeur Michael Braungart a posé une question préliminaire essentielle à ses yeux : la cosmétique, en elle-même peut-elle être « durable » ?

Durable, bien sûr, au sens « d’économie durable », cette forme d’économie à la fois respectueuse de l’homme et de l’environnement, et qui tient compte en particulier de l’impact de l’homme sur cet environnement, pour en limiter les dégradations et en pérenniser les ressources.

Cette cosmétique, surtout si naturelle et bio, est-elle donc durable, parce que ses ingrédients sont issus de la nature, de « Mère Nature » ? Mais cette nature est aussi capable de fabriquer des

 

poisons, nous l’avons rappelé plus haut. Et la vraie « durabilité » par rapport aux ressources ne serait-elle pas de dire : « Si je n’ai pas besoin de ce produit, je ne l’achète pas » ? Mais à y regarder de plus près, la cosmétique n’est pas un luxe intégral dans notre monde. Pour Michael Braungart, elle a une fonction essentielle dans notre société de masse, celle d’aider à s’intégrer, tout en se donnant une personnalité propre. Par conséquent, si la cosmétique vraiment naturelle n’est pas, par essence durable, elle doit le devenir, et d’urgence, comme le reste de notre économie et des produits dont nous avons besoin pour vivre en ce 21e siècle.

Ce qui signie que nous devons absolument ménager les ressources, et pas seulement en « compensant » notre empreinte carbone. Le professeur Braungart pousse ainsi le raisonnement à fond : si un groupe de personnes veut atteindre le 10e étage d’un immeuble, le bilan carbone de l’ascenseur pour ce groupe sera bien meilleur que si tout le monde y va à pied et expire du CO2 ! Rêver d’un bilan carbone neutre est donc illusoire, le « zéro émission » n’existe pas, même pour un arbre. En compensant simplement notre empreinte carbone, nous ne faisons que le minimum. Or les ressources de notre planète sont limitées, alors que la population augmente en permanence. Même l’agriculture biodynamique détruit les ressources du sol, bien moins que le conventionnel certes, mais elle le détruit quand même. Sous nos latitudes, il faut 100 à 300 ans avant que la couche d’humus ne se renouvelle d’un centimètre seulement. Chaque année nous perdons de 4 à 6000 fois plus d’humus que nous n’en produisons. Et pour qu’un sol agricole soit productif, il lui faut 25 cm d’humus. Et la problématique est la même pour un nombre incalculable de matières premières que nous utilisons, parfois de façon inconsidérée : un simple pot de yaourt nécessite par exemple pour sa fabrication plus de… 600 composants de base : aluminium,

colorants, cire de protection, additifs, matières plastiques !

 

Du « management stupide » au « formuler positif »

Michael Braungart pointe en outre du doigt ce qu’il appelle le « management stupide » (dummes Management) : en cosmétique, en raison d’un marketing basé sur les peurs nouvelles, on a vu des entreprises remplacer les parabènes par d’autres ingrédients qui ne valent pas mieux, ou par un mélange d’ingrédients qui multiplie ainsi le besoin en matières premières. Idem en automobile : face à la peur de l’amiante, les garnitures de freins qui en contenaient emploient maintenant des sulfures, qui sont bien plus cancérigènes. Et pour revenir à la cosmétique, l’industrie conventionnelle persistant à employer des ingrédients agressifs pour la peau est obligée d’en ajouter d’autres pour en compenser les effets négatifs. Avec une nouvelle fois un besoin en ressource augmenté et de plus en plus de molécules chimiques répandues dans la nature et des cocktails aux eets délétères, allant des allergies en croissance constante aux cancers aussi plus nombreux. Alors que si dès le départ on formulait « positivement », les produits monopoliseraient bien moins de ressources…

Nous ne sommes donc pas loin de ce que certains ont baptisé la « slow cosmétique », et de cette tendance qui apparaît doucement et également baptisée less is more (moins c’est mieux). Une tendance, soyons honnête, vers laquelle la cosmétique bio certiée s’est déjà dirigée.

Disons-le eectivement haut et fort : par ses choix, ses ingrédients a priori renouvelables, ses matériaux recyclés et recyclables, ses formulations plus simples et plus saines, la cosmétique bio fait déjà partie des industries qui ont commencé à prendre le « bon chemin ». Mais parce que la population de la planète augmente, parce que le niveau de vie des populations s’améliore également, alors que donc en même temps les ressources de notre bonne vieille planète restent les mêmes, sauf miracle, il est important de passer à la « vitesse supérieure ». Et là aussi, surtout à un moment où elle se cherche un nouveau positionnement, face au green washing et à des engagements qui ne sont plus son apanage (économie durable, produits équitables…), la cosmétique bio a tous les atouts pour jouer un (nouveau) rôle pionnier, vital… et elle doit le faire savoir. Mais par quel moyen ?

 

Pour une « empreinte carbone positive » !

Comme exprimé plus haut, l’urgence est donc de ne plus être seulement « neutre », mais d’agir positivement sur notre consommation industrielle. À ce jour, dans l’ensemble, le cycle de vie d’un produit se résume en : utilisation de matières premières, fabrication, utilisation, déchets. En fait de cycle, il s’agit plus d’une économie linéaire, qui nit en impasse.

La révolution doit impérativement se faire via une économie circulaire, « cycle vivant » inspiré des vrais processus biologiques : « Ceux-ci sont généralement ecients puisque les résidus des processus sont totalement réintégrés comme matière première

 

ou source d’énergie dans les systèmes naturels. Les organismes vivants vivent donc en totale harmonie avec leur milieu ambiant en utilisant ecacement les ressources du milieu et en mettant en place des échanges favorisant une utilisation optimale du milieu dans lesquels ils se trouvent ».

Il ne s’agit donc plus de « faire moins mal » mais de « faire mieux ». La phase déchet ne doit plus être une impasse mais au contraire être un nouveau départ pour de nouvelles matières premières, pour un même usage, mais également le cas échéant pour un usage diérent, et ainsi de suite. Le déchet devient nutriment, ce qui s’ajoute aux notions « d’éco-ecience » et « d’éco-conception ». L’éco-conception consiste à prendre en compte des critères environnementaux dès la phase de conception d’un produit. Il s’agit donc d’une « démarche préventive et multicritère des problèmes environnementaux : eau, air, sol, bruit, déchets, matières premières, énergie ». Cette notion fait son chemin depuis quelques temps, puisque l’AFNOR a publié dès mai 1998 un document intitulé « Prise en compte de l’environnement dans la conception des produits » qui décrit diverses méthodes pour l’appliquer. Le but est de réduire les eets négatifs sur l’environnement liés à la fabrication du produit essentiellement, tout en ne nuisant pas à sa qualité ou ses performances

L’éco-ecience, concept un peu moins connu, a été déni en 1995 par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) comme étant « la production de produits et services à des prix concurrentiels qui satisfont les besoins humains et procurent une qualité de vie, tout en réduisant progressivement les conséquences écologiques et le recours à de nombreuses ressources pendant le cycle de vie, à un niveau équivalent au

moins à celui de la capacité estimée de la planète ».

Et ce en appliquant les principes suivants :

● réduction de la demande de matériaux pour les produits et services ;

● réduction de l’intensité énergétique des produits et services ;

● réduction de la dispersion des substances toxiques ;

● amélioration de la recyclabilité des matériaux ;

● optimisation de l’utilisation durable des ressources renouvelables ;

● prolongation de la durabilité des produits ;

● accroissement de l’intensité de service des produits et services.

Des analystes de la fondation Ellen MacArthur, créée en 2007 par la navigatrice britannique éponyme, et qui a pour objectif d’inciter le public et les entreprises à repenser, concevoir et construire un avenir durable en s’appuyant sur ce concept d’économie circulaire, ont estimé dans un récent rapport que l’on pourrait ainsi, rien que dans l’Union Européenne, économiser des matières premières pour un montant total de 400 à 500 milliards d’Euros par an, soit l’équivalent du budget annuel de la Sécurité Sociale en France ! Mais le Cradle to Cradle® (en français « du berceau au berceau ») imaginé par Michael Braungart pousse à l’extrême la notion d’économie circulaire, pour une vraie « empreinte carbone positive », avec le constat que « être moins mauvais, ce n’est pas être bon ». En intégrant ainsi par exemple, dès la conception même du produit, non seulement des matériaux choisis pour leur non-toxicité bien sûr mais aussi la vision de ce qui sera son usage futur, après sa « première vie ».

Eric Allodi, fondateur d’Integral Vision, qui a introduit le concept en France en 2007, a expliqué dans un interview3 la diérence avec le recyclage traditionnel et l’éco-conception : « Avec l’approche Cradle to Cradle, on cherche à tendre vers un recyclage des produits à l’inni. Dès le départ dans l’élaboration d’un produit, le choix des matières est pensé pour être recyclé des dizaines, voire des centaines de fois. L’industriel, qui s’intéresse à cette démarche, s’emploie à atteindre une ecacité maximale du recyclage d’un produit en boucle fermée. On peut dire que les déchets disparaissent totalement de ce circuit. Les ressources ne sont donc plus perdues, soit le recyclage est basique (on transforme un produit en compost), soit il est technique (un produit redevient le même produit, ou en devient un autre). »

Les entreprises qui se sont lancées dans la démarche ne sont pas encore très nombreuses en France : quelques fabricants de moquette et autres revêtements de sol, de matériel de bureau,

collants. Au niveau mondial, la palette est plus large, allant des matériaux de construction au mobilier et à de l’aménagement intérieur (moquette justement), en passant par le cartonnage et le papier, les textiles, les vêtements et chaussures… Fin 2012, ce sont 170 entreprises qui s’étaient faites certier Cradle to Cradle (alias C2C ou CtoC), pour un ensemble de 450 produits.

 

La cosmétique bio, pionnier désigné du C2C ?

Au niveau mondial, quelques entreprises de cosmétique, qui se comptent sur les doigts d’une main, se sont également lancées dans ce challenge, aucune n’étant d’ailleurs porteuse d’un des « labels bio » connus chez nous !

Michael Braungart l’a armé au congrès de Berlin : la certication bio telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est « regarder en arrière », c’est-à-dire s’intéresser à ce qui a été fait pour garantir une certaine qualité éthique et saine.

Et le durable, le social, le responsable et/ou l’équitable ne sont plus susants, pour les raisons évoquées plus haut. Pour lui, à l’heure où les fabricants de cosmétique bio cherchent des moyens pour souligner leur diérence, ils ont la légitimité la plus absolue pour être une nouvelle fois pionniers, en l’occurrence en allant au bout de leur démarche pour une planète qui doit pouvoir subvenir aux besoins du plus grand nombre, en ménageant les ressources existantes et en les valorisant de façon optimale.

Pour un monde où consommer ne serait plus une mauvaise chose, mais une bonne, « où le concept de déchet n’existerait plus, où tous les matériaux seraient sûrs et sains, et où l’énergie serait 100 % propre et renouvelable ». Le concept même de déchets n’existerait plus, pas seulement pour les réduire ou les éliminer, mais simplement en éliminer l’idée même, par conception. Sur quels critères évaluer la conformité au C2C ?

Ils portent sur cinq points : la sécurité des matériaux, leur réutilisation, l’utilisation d’énergie renouvelable, la maîtrise de l’eau et la responsabilité sociale. Mais qui dit critères et évaluation dit… certicateur.

Et Michael Braungart, qui est chimiste, ancien membre de Greenpeace, et professeur d’Ingénierie des processus à l’Université des Sciences Appliquées de Suderburg (Basse- Saxe) a fondé à Hambourg avec William McDonough, architecte et designer américain de renommée internationale, l’EPEA International Umweltforschung GmbH, qui délivre la certication Cradle to Cradle®, avec 5 niveaux : Basic, Bronze, Silver, Gold et Platinium.

Les entreprises et leurs produits sont ainsi jugés de la façon suivante, avec une réévaluation tous les deux ans :

● sécurité des matériaux : respect d’une liste négative de produits chimiques, absence totale d’ingrédients carcinogènes, mutagènes, toxiques… bois certiés FSC ou issus de forêts renouvelables…

● réutilisation des matériaux : cycle de réutilisation clairement identié et déni, mesures pour la collecte

● utilisation d’énergie renouvelable : niveaux atteints et stratégie de contrôle des émissions de carbone

 

 

● maîtrise de l’eau : contrôle de son utilisation et de l’impact des euents, stratégie d’impact positif, avec l’objectif d’atteindre une qualité d’euents 100 % potable

● responsabilité sociale : stratégie de contrôle, projets sociaux innovants

Pour la cosmétique spéciquement, on doit ainsi entre autres imaginer des formulations totalement biodégradables, non éco-toxiques, des emballages primaires et secondaires réduits à leur plus simple expression, recyclés, recyclables (avec systèmes de collecte) ou compostables, etc.

Une certication de plus ? Malheureusement oui. Mais il est clair qu’elle « voit plus loin » que la plupart des cahiers des charges actuels, même le NCS (Natural Cosmetics Standard) vu récemment à Nuremberg (voir page 99) ou encore, également récent, la certification CSE, « standard pour l’économie durable pour les entreprises à orientation écologique ».

Aux acteurs historiques de la lière de juger de l’opportunité de ce nouveau challenge, et d’en être éventuellement un des moteurs. Comme dit plus haut, ils en ont sans nul doute la légitimité.

 

La référence pour les professionnels de la distribution bio spécialisée et alternative

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