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Profession conseiller beauté

Laurence Wittner nous a précédemment parlé des attentes des consommateurs en matière de cosmétique bio. Avec vous, nous passons de « l’autre côté de la barrière ». Quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit si on évoque devant vous la vente de cosmétique dans les magasins bio, vous, l’homme des parfumeries ?

Sans aucune animosité aucune, bien sûr, c’est le fait que, en général, ce n’est pas un circuit de professionnels de la beauté. La plupart d’entre eux n’a donc pas été formé pour cela ni adapté à un marché qui est en évolution constante. Mais je me pose aussi une question : est-ce que la grande majorité des consommateurs est prête à choisir un produit de soin, personnel, pour sa peau – bio ou pas bio, là n’est pas la question – au milieu d’un environnement avec des clients venus acheter tout autre chose. Pour moi, il y a trop souvent encore un manque clair d’environnement beauté. Les produits cosmétiques sont quand même des produits de conseil, et le conseil a besoin d’un environnement de sérieux – dans le sens de compétence affichée – et de confidentialité.

Or plus l’espace est ouvert, moins il est confidentiel et donc moins en a envie de faire confiance et d’acheter le produit, parce qu’on devient un client comme un autre venu acheter toutes sortes de biens. Alors que quand on achète un produit de beauté, c’est par excellence quelque chose de très personnel, de très spécifique, pour soi.

Si je comprends bien, pour vous, le magasin bio qui veut bien vendre de la cosmétique doit donc rester, ou devenir, un vrai magasin de conseil ?

Tout à fait. Et surtout faire un espace, ou des espaces, pour la cosmétique et la parfumerie bio, espace réservé au conseil, avec un environnement propice pour écouter les clientes, leur conseiller les produits, leur offrir un échantillon, leur faire une fiche de conseils, une « ordonnance de beauté » même.

Tout cela ne peut pas se faire au milieu de la foule qui passe. À priori, le gérant pourra penser que créer un tel espace n’est pas des plus rentables : c’est un état d’esprit qu’il faut changer, car si on s’applique, si on s’implique, cet espace peut facilement devenir très rentable justement.

Quelles sont les (bonnes) questions que doivent se poser les propriétaires et gérants des magasins bio qui veulent être performants en cosmétique, qu’il s’agisse des produits, d’euxmêmes et de leur équipe, ou de l’environnement justement ?

 

La première question à se poser est de savoir, bien sûr, si les produits qu’ils vendent sont vraiment adaptés aux attentes de leur clientèle, en comparaison de la concurrence…

C’est là en fait la définition de la « part de marché »…

C’est vrai qu’une grande partie des clients des magasins bio achète sa cosmétique ailleurs…

Tout à fait, et cela ne m’étonne pas outre mesure. Mais la seconde chose, également des plus importantes, et là je change totalement de thématique c’est : est-ce que le personnel est suffisamment intéressé aux ventes ? Une question je l’avoue très directe. Car je pense bien sûr à un système d’intéressement financier, que cela soit sous forme de prime ou de concours intérieur. Car pour que ces soins soient traités différemment, que les marques soient présentées comme des produits d’exception, il faut que la cosmétique devienne bien un produit d’exception dans le magasin, à la fois pour les vendeurs et pour le patron. Celui-ci ne doit d’ailleurs pas, à aucun moment, diminuer la valeur du potentiel que représente la cosmétique. On voit en effet trop souvent – et je parle déjà des parfumeries elles-mêmes ! – des gestionnaires qui disent : « Nous n’en avons pas vendu assez, on retire les produits ou la marque du rayon, ou on les met plus loin, à un endroit moins stratégique ». Ce n’est pas la bonne réaction à avoir : un nouveau produit, il faut souvent quelques mois pour qu’on vous en achète 1, puis 2, puis 3, etc. La fidélisation se fait petit à petit et c’est alors que les choses

 

 

changent. Si le produit a donc vraiment des qualités et de la valeur, dans tous les sens du terme, alors et comme on dit : « il faut laisser du temps au temps ». Même si cela paraît parfois difficile actuellement.

En clair, il faut ne faut pas tomber dans le travers de la rentabilité immédiate « au mètre » ?

Tout à fait ! Aujourd’hui, dans les magasins en général, quel que soit le domaine, et les parfumeries sont elles aussi encore une fois concernées, le personnel travaille 35 heures et parfois moins, et les rémunérations ne sont pas élevées du tout. Comment voulezvous que ces employés s’impliquent dans leur travail ? On s’en rend compte déjà, très souvent, lors de l’accueil – façon de parler – que l’on a lorsqu’on appelle dans une boutique, accueil qui est fréquemment déplorable. Pour assurer le succès, les gérants doivent donc aussi savoir se positionner par rapport à la valeur de leur personnel : c’est le personnel qui fait vivre l’entreprise. À l’extrême limite, même si le gérant n’est pas vraiment à la hauteur, une entreprise peut connaître le succès si le personnel est performant…

Le gérant compétent doit donc être passionné, et transmettre cette passion à ses collaborateurs. Il faut leur donner envie de travailler, que cela devienne un plaisir… et les résultats à la fin du mois seront alors sans appel ! Imaginez simplement la scène : à la fin du mois, le patron va voir tel(lle) ou tel(lle) employé(e) et lui dit « Vous vous rendez compte, ce mois-ci c’est vous qui avez été le ou la meilleur(e) ! Voilà un chèque pour vous remercier, ou tant de points à valoir sur un futur voyage… ».

Là, il a tout gagné ! Je connais des pharmacies ou des parfumeries dans Paris, surchargées de travail, dans un environnement comprimé, avec des produits partout… Dans une telle ambiance, les clientes viennent chercher « leur » vendeuse, parce que ce sont elles qui connaissent leurs besoins personnels. Ce sont ces vendeuses qui font le succès de l’endroit. Et elles méritent d’êtres stimulées pour cela.

Une question directe également de mon côté : pour vendre des produits de soin, faut-il être esthéticienne ou bien estce qu’avoir une vraie bonne formation faite par la ou les marques peut suffire ?

Je vais me permettre de rester sur ce que je viens d’évoquer : une formation, quelle qu’elle soit, ne sera « efficace » que si le personnel est intéressé. Car malheureusement, aujourd’hui, ce qui pose problème, c’est bien l’aspect financier. Il ne faut pas chercher plus loin ce qui est une évidence. Et comme les salaires sont bloqués un peu partout, les employés n’ont que peu de chances d’évoluer, même en fonction.

Donc c’est aux gérants à donner un coup de pouce aux salaires, en mettant de l’intérêt personnel dans la fonction « travail », intérêt qui se transformera en intérêt vis-à-vis des produits, des marques,

et donc de l’enseigne. Et puis il y a un autre point essentiel qui, s’il n’est pas respecté, est rédhibitoire, même si votre personnel a une formation adéquate ou le diplôme ad hoc. Je veux parler de l’accueil et, de façon plus professionnelle, de la façon de « gérer » le client qui arrive… Désolé de parler de choses évidentes, mais la première chose, quand une cliente rentre, c’est déjà de l’accueillir avec le sourire et un « Bonjour Madame ! ». Ensuite, virtuellement bien sûr, « intellectuellement », il faut déshabiller la cliente, pour comprendre qui elle est et le type de produit qu’on va pouvoir lui vendre. Il faut aussi l’aborder poliment : « Puis-je vous conseiller ? ». Car il ne faut pas forcément éviter les questions fermées : elle répondra simplement par oui ou par non. Dans ce dernier cas, il faut bien entendu se mettre en réserve. Mais au premier geste, au premier signe d’ouverture, on peut revenir à la charge, poliment et posément, en s’orientant tout doucement vers ce qui doit devenir une vente.

Et si elle ne veut pas de conseil ? Cela ne ferme-t-il pas la porte ?

Non. Cela ne la ferme pas. Tout simplement, et on peut le comprendre, elle a envie d’être tranquille pendant quelques temps, pour découvrir librement les produits. Elle a probablement vu une publicité dans un magazine, et a envie de voir seule ce qui complètera l’image qu’elle s’en est faite. Si elle est vraiment là pour acheter, elle finit toujours par demander un conseil. Et à sa première question, la « porte » s’ouvre donc tout en grand. Cependant, il faut toujours garder en tête cette règle essentielle à expliquer aux équipes de conseillers et conseillères de vente : il faut rester « en réserve », jamais loin, mais il ne faut absolument pas imposer sa présence à une cliente. Nous sommes

 

 

tous des consommateurs, et il suffit de se mettre à la place de cette cliente : il ne faut donc pas imposer aux autres ce que nous n’avons pas envie que l’on nous impose.

Autre sujet : vous qui connaissez bien le monde de l’esthétique et de la parfumerie, quels sont pour vous les arguments, les critères, qui peuvent décider une esthéticienne ou une autre professionnelle de la beauté à « passer au bio » et à venir s’investir dans un magasin bio ?

Permettez-moi de répondre « aucun ». Mais je m’explique : je ne me positionne pas sur le côté éthique du bio, mais sur les qualités cosmétiques du produit, par rapport à la vente et à l’environnement concurrentiel. Ce qui m’intéresse, c’est que la formulation du produit ou sa méthode d’obtention puisse me démontrer la valeur (cosmétique) du produit qui le différenciera du produit concurrent, des autres produits qui existent sur le marché. Les cosmétiques bio doivent tout simplement être adaptés face aux autres produits concurrents du marché.

En d’autres mots, bio ou pas bio, ce qui compte déjà c’est la qualité du produit, parce que dans l’expression « cosmétique bio » il y a avant tout le mot « cosmétique », c’est cela ?

La qualité du produit, mais aussi la connaissance totale du produit

par la conseillère de vente. Si elle ne sait pas avec quoi sont faits ses produits, les molécules et autres ingrédients qu’il y a dedans, elle n’est pas vraiment à sa place… Désolé d’être direct, encore une fois. Il faut surtout bien connaître chaque produit X, Y ou Z face au produit concurrent a priori équivalent. C’est le plus important, car sinon la conseillère n’a rien pour vendre, pour démontrer que son produit est celui qui convient à la cliente, qu’il est adapté à son type de peau et à son besoin personnel. Pour cela, il faut des arguments. Quelque part, c’est comme si un médecin, sans ausculter ni examiner un malade, lui annonçait que ce dernier a un cancer. Cela n’a aucun sens et c’est même gravissime ! Le produit de soin cosmétique, c’est la même chose : il faut savoir démontrer pourquoi on vend ce produit-là plus qu’un autre. J’avais demandé à mes collaboratrices de faire des fiches, avec les produits similaires à tel ou tel que nous vendions, en leur disant de garder ces fiches toujours à portée, et de ne pas avoir honte de les regarder si nécessaire. Bien que cela puisse se faire aussi discrètement, en y jetant un coup d’oeil par exemple en allant chercher un produit ou un testeur pour la cliente. Cela permet de revenir vers elle avec un argument bien précis, qui ne pourra que la convaincre que vous connaissez votre métier…

L’astuce consiste par contre surtout de souligner que vous avez bien « compris » la peau de votre cliente et donc saisi son besoin. Ce qui passe bien entendu aussi par une réelle connaissance des besoins potentiels des différentes peaux. C’est tout une vraie culture…

 

 

Sur un autre plan encore, lorsqu’un commercial vient me voir dans mon magasin pour me proposer ses produits, à quoi doisje être attentif/attentive ?

La bonne attitude à avoir c’est avant tout : « Présentez-moi ce qui vous différencie vraiment de votre concurrence ». Ce commercial doit être capable de dire, en toute franchise, non seulement les points forts, mais aussi éventuellement les points faibles de tel ou tel produit, car ces points faibles ne sont pas forcément un obstacle pour certaines consommatrices. Ceci face aux 6 ou 8 marques – il y en a rarement plus – qui font plus ou moins la loi sur le marché. C’est la première des qualités qu’il faut évaluer chez un commercial : qu’il soit capable de ne pas simplement clamer que ses produits sont les meilleurs, ce qui est une attitude inacceptable. Mais de fait, seul le fabricant, le créateur, est capable d’expliquer son positionnement, ses différences. S’il ne le fait pas, à rayer de vos listes…

Toute conseillère est également une consommatrice, et si de toute évidence le commercial récite simplement son discours, qu’elle ne comprend pas les arguments pour elle-même déjà, elle peut lui dire de changer de métier… Car c’est tout un ensemble : la relation, la compréhension commercial – conseillère de vente et celle conseillère de vente – consommatrice. Si la première ne fonctionne pas, alors la seconde ne pourra pas marcher non plus. Et si on sait bien acheter, on saura bien vendre.

Quant au commercial, il doit savoir de son côté demander sincèrement : « Que peut-on, que voulez-vous que nous fassions ensemble ? ». Il doit être clair dans ce qu’il peut apporter, non seulement au magasin et à son gérant, mais aussi à la vendeuse pour qu’elle réussisse sa diversification en terme d’offre produits, qu’elle soit performante pour convaincre les consommatrices. C’est-à-dire qu’il doit expliquer les avantages de ses produits qui sortent de l’ordinaire, pour le patron, pour elle vendeuse, pour la consommatrice. La vendeuse doit pouvoir « vivre » son produit, et ce n’est pas en récitant un argumentaire de vente qu’on y arrive. Et les valeurs de la marque doivent être transmises au marché de façon différente en fonction des personnes, des magasins, de la clientèle… Car la réceptivité n’est jamais la même !

Je terminerai en évoquant ce qui est pour moi une autre règle importante, qu’il s’agisse du commercial vis-à-vis de la vendeuse, ou de celle-ci vis-à-vis de la consommatrice : il faut savoir se mettre à la place de l’autre. Le commercial doit même se mettre si nécessaire dans la peau de ses concurrents, en imaginant ce que ceux-ci diraient sur sa marque : cela est toujours édifiant. Si on n’est pas capable d’avoir cette attitude, il faut changer de métier.

Et encore plus de nos jours, avec des marchés qui sont devenus difficiles, vulnérables, car bouleversés par un tas de données, économiques, culturelles ou autres. Face à une telle situation, c’est à chacun de défendre sur le terrain ce qu’on aime. Et la vente est

quelque chose de passionnant, car on a cette chance de pouvoir répondre aux attentes des autres… Surtout que nous parlons ici de beauté et donc d’estime de soi…

Merci à vous pour cet entretien très vivant, Monsieur Marionnaud !

 

Fils de forains, Bernard Marionnaud se retrouve très tôt, après la seconde guerre mondiale, derrière l’étal de droguerie de ses parents, à vendre des savonnettes ou des eaux de toilette sur les marchés du sud-est de Paris, avec un bagout qui fait toujours mouche. « Apporter la beauté » devient une passion et il va en faire son métier : il est le premier homme esthéticien diplômé, puis devient visagiste. Il ouvre ensuite sa première parfumerie en 1958 à Clamart, puis un institut en 1972, ce qui fait sensation. Il démocratise largement la parfumerie, pratiquant des prix sans concurrence (ce qui n’est pas du goût de tout le monde), devenant un des pionniers de la carte de fidélité. Tous les samedis, il organise des journées consacrées aux femmes, où il prend personnellement le temps de les rendre encore plus belles. Cette boutique est sombre et mal éclairée, mais c’est la première d’un concept qui va s’étendre, avec au final une quarantaine de magasins. Mais en proie à des difficultés, sa chaîne est rachetée en 1996 par un de ses concurrents, Marcel Frydman, qui conserve le nom Marionnaud pour l’ensemble des points de vente. L’expansion de l’enseigne continuera, jusqu’à atteindre aujourd’hui environ 1100 magasins dans le monde, dont plus de 500 en France. Depuis 2005, la société Marionnaud, qui n’a donc plus rien à voir avec son fondateur, appartient au groupe chinois AS Watson. L’extraordinaire aventure entrepreneuriale de Bernard Marionnaud est racontée dans sa biographie parue fin 2012 aux Editions du Cherche- Midi : « Bernard Marionnaud, un homme au parfum ».

 

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