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Quelle dynamique pour la cosmétique dans les magasins bio ?

1re partie : un état des lieux. David contre Goliath !

Sans vouloir donner des réponses qui seraient « parole d’évangile » – loin de là notre façon de penser ! – nous allons vous proposer dans une série d’articles le fruit de nos réflexions et constatations, modestement éclairées par nos plus de 20 ans d’activité dans le secteur des produits naturels en général, et de plus d’une douzaine d’années dans celui de la cosmétique naturelle et bio en particulier.

La cosmétique bio : un nouvel eldorado ?

Avant néanmoins d’évoquer des pistes de réflexion, de partager des idées recueillies sur le terrain, d’évoquer des « outils » possibles, il est essentiel de faire un état des lieux après ces dernières années d’euphorie sur la cosmétique bio, et au moment donc où ladite euphorie fait place, en magasin bio, à quelque inquiétude… Nous avons osé plus haut le mot « mode », un terme il est vrai volontairement provocateur. Mais, dans notre idée d’explorer par la présente série d’articles des chemins de réflexion pratiques, il ne faut pas oublier une chose, essentielle : la cosmétique bio, ce n’est certes pas une mode, mais ce n’est même pas (plus) un acte militant : c’est une (grosse) industrie, même si un grand nombre de TPE (très

petites entreprises, à la taille inférieure à celle des PME) se sont lancées sur le marché. On a en effet vu ces dernières années des personnes fermer le dernier magasin d’articles de pêche de leur ville en annonçant vouloir créer leur marque bio (lu dans un grand quotidien régional du Nord), ou des jeunes cadres dynamiques faire un « retour au vert » pour faire de même… Une sorte de nouvel Eldorado ou de ruée vers l’Ouest. Notez bien que cela n’est pas une critique : il y a parmi eux de vrais passionnés, des personnes animées des meilleures intentions, et il y aura sans doute dans quelques années de très belles entreprises qui se seront construites sur de telles belles aventures personnelles, modestes au départ. Mais c’est pour souligner le fait que contrairement à la ruée vers l’Ouest susmentionnée, ici pas de terre vierge à défricher, pas de désert inoccupé… Ces pionniers qui partent de rien, ou leurs confrères déjà présents sur le marché de la cosmétique naturelle depuis plusieurs années, sont amenés à lutter sur un secteur cosmétique qui existe déjà, et qui est même un des secteurs d’activité les plus dynamiques en France, avec un chiffre d’affaires d’environ 7 milliards d’Euros, dont 2 milliards rien que pour les parfums ! On ne peut donc pas comparer le « coming out » (terme plus adapté que « naissance », eu égard aux marques pionnières qui ont parfois 30 ou 50 ans d’existence) de ce secteur économique, par exemple à la naissance de l’industrie de l’informatique, où quelques artisans et pionniers de génie ont pu exprimer leur talent dans une lutte concurrentielle qui était a priori grosso modo égale. Ici, les artisans et pionniers de la cosmétique bio ne pouvaient, tôt ou tard, qu’être confrontés à d’autres entreprises qui font déjà de la cosmétique, à une échelle qui leur donne des moyens sans commune mesure, tant au niveau de la fabrication que de la distribution…

La cosmétique : une industrie « lourde » en France

Selon une enquête de l’INSEE effectuée en 2006, chaque Français achète en moyenne pour un peu plus de 200 Euros par an de produits de parfumerie, hygiène et beauté :
● produits de toilette, hygiène : 40 €
● produits de beauté : 75 €
● produits capillaires : 45 €
● parfums, eaux de toilette : 40 €.

Cette consommation est la 4e plus forte au monde, derrière les Etats-Unis, le Japon et le Brésil. Chaque jour sont ainsi vendus chez nous environ 157.000 flacons de parfum, 309.000 produits de soin spécifiques, 525.000 shampoings et 544.000 produits pour le bain et la douche (1). Certes avec la crise, les exportations ont chuté en 2009 de 11 % et les importations de 7 %, et alors que le marché était de 6,9 milliards d’euros en 2007, il est retombé à 6,6 milliards en 2009. La France représente néanmoins à elle seule 18 % du marché mondial (2) et la beauté reste le 4e secteur de l’économie française de par son solde commercial, avec la première place des pays exportateurs (17,9 % de part de marché), devant l’Allemagne (11,7 %) et les Etats-Unis (11 %). Un solde positif dû aussi au fait que la France n’est que le 5e pays importateur au monde (4,3 %), nouvelle preuve du dynamisme des fabricants nationaux.

Une distribution très concurrentielle

Sur notre marché intérieur, les produits de cosmétique au sens strict (c’est-à-dire sans les parfums) sont vendus essentiellement dans trois circuits de distribution qui « pèsent » chacun plus de 20 % du marché (3) : ● la GMS (hypermarchés, supermarchés, etc.) : 27 % de parts de marché ● la distribution dite sélective (parfumeries, grands magasins) : 23 % de parts de marché. Il faut noter par ailleurs que ce canal représente à lui seul 90 % du marché des parfums… ; ● la pharmacie : 20 % de parts de marché. Ces trois canaux représentent donc à eux seuls 70 % du marché ! Viennent ensuite la VAD (vente à distance) et les « marques enseignes » de cosmétique avec 15 % de parts de marché puis les parapharmacies avec 6 %. Instituts, coiffeurs… et magasins bio doivent donc se partager les 9 % du marché restant des produits cosmétiques ! Dès lors, même si la cosmétique bio a connu ces dernières années une croissance allant jusqu’à 40 % par an, et si les 3 ou 4 % du marché global de la cosmétique qu’elle représente vont augmenter de façon certaine, que peuvent réellement peser les 2 250 magasins bio face, par exemple, aux 22 000 pharmacies ou aux près de 3 000 parfumeries sélectives, dont 60 % appartiennent à des chaînes nationales et internationales à la « force de frappe » incomparable ?

Ainsi, si le magasin bio veut garder la dynamique pionnière qu’il a toujours eu en matière de cosmétique naturelle, il faut déjà, avant tout, qu’il n’oublie pas qu’il ne peut de toute façon pas combattre à armes égales sur un secteur économique où il n’est, mathématiquement, qu’un acteur mineur, un nouveau David contre Goliath. Et ce d’autant plus qu’au sein même de cette (ancienne) « niche » de la cosmétique bio, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition.

L’évolution du marché de la cosmétique bio

Comme rappelé plus haut, pendant des dizaines d’années, le marché de la cosmétique naturelle et bio, qui n’était pas encore « labellisée » ou « certifiée », s’est cantonné dans le circuit de ces magasins longtemps appelés « diététiques ». Nous n’adhérerons pas à cette affirmation d’un cabinet de consultants qui a écrit récemment que la cosmétique bio était « mal distribuée » et qu’elle était « l’apanage d’écolos et de ‘babas cools’ rétrogrades » (sic !). C’est oublier que tout simplement cette cosmétique n’intéressait pas les autres circuits, et même faire injure aux magasins « bio » et aux consommateurs, qui eux y croyaient, pour des raisons de valeurs (au sens « philosophique » du terme) et d’engagement pour une vie plus saine et une nature préservée. Certes, reconnaissons que les packagings étaient parfois peu attrayants et les textures ou les parfums même quelquefois rédhibitoires, mais là n’est pas la question, la plupart des marques pionnières ayant positivement évolué depuis. Car des marques étaient alors aussi présentes sur le marché, notamment allemandes, nos voisins ayant souvent eu de l’avance sur nous en matière d’écologie. D’ailleurs, le concept même de « magasin diététique » est né Outre-Rhin dès 1887, sous le nom encore usité aujourd’hui de Reformhaus.

Il n’est pas utile de rappeler que la cosmétique bio est réellement sortie de l’ombre pour passer sous les feux de l’actualité en mars 2005 suite à une simple émission de télévision dont tout le monde se souvient, diffusée à une heure de grande écoute. Peu importe que celle-ci puisse être critiquable sur de nombreux points de fond ou de forme, et qu’un autre reportage de la même émission, 4 ans plus tard quasiment jour pour jour, a pu bizarrement véhiculer un message plutôt négatif sur les cosmétiques bio… Cette émission – démonstration par ailleurs du pouvoir que peuvent avoir les media, ce qui n’est pas sans interpeller – a provoqué une prise de conscience de la part des consommateurs que la cosmétique c’était principalement de la chimie, et que la chimie n’était pas toujours aussi saine que certains se l’imaginaient….

Dans les années qui ont suivi, le marché de la cosmétique bio a littéralement explosé en France. Si certains ont parlé d’une croissance de l’ordre de 40 % par an, la société spécialisée en études de marché sur le bio Organic Monitor a publié quant à elle des chiffres de croissance de + 37,6 % entre 2005 et 2006, + 32,7 % entre 2006 et 2007 et + 23 % entre 2007 et 2008. La cosmétique bio doubla alors sa part de marché, pour atteindre environ 2 à 3 % en 2008, selon la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA), et 4 % selon d’autres sources. Les analystes d’Organic Monitor prévoyaient que ce secteur représenterait 10% du marché en 2010-2012 et 30 % du marché total des cosmétiques sous 5 ans, une prévision reprise par nombre de supports. La France était alors le pays qui connaissait la plus forte augmentation de la consommation de cosmétiques naturels et bio, mais aussi celui où l’on trouve le plus grand nombre de lancements : 550 nouveaux produits lancés en 2007 et 800 en 2008 (dont 80% de produits de soin) (4). Selon une étude plus récente (5), le marché est depuis passé à 282 millions en 2009 et environ 330 millions en 2010 (6), et à l’horizon 2015, la croissance annuelle du marché est estimée comme devant se situer entre 10 et 12 % en valeur pour un chiffre d’affaires compris entre 500 et 550 millions d’euros, toujours au prix du détail. En 2006, il existait 40 marques de cosmétiques bio en France. A mi- 2010, elles étaient 235 ! Organic Monitor confirmait cette croissance de 12 % pour 2010, une croissance certes ralentie, mais de loin supérieure à celle de la cosmétique « conventionnelle »…

Le point essentiel reste que cette augmentation se caractérise par un nombre croissant d’acteurs s’ajoutant aux marques pionnières, qu’il s’agisse de marques émergentes ou bien des « majors » de la cosmétique conventionnelle créant de nouvelles marques, passant en « bio » des marques existantes, ou avec une politique d’acquisition ou de participation dans des marques anciennes (L’Oréal/Sanoflore, Clarins/Kibio, Yves Rocher/Terre d’Oc, L’Occitane/Melvita, etc.). Un « gâteau » de plus en plus partagé Cette explosion du marché, même ralentie et sans le moindre doute affectée par la crise économique, s’est ainsi accompagnée d’une multiplication de l’offre et d’une popularisation certaine de la cosmétique bio, qui n’est plus réservée aux consommateurs « historiques » du circuit bio. Elle n’a pas été sans conséquence non plus, bien sûr, sur les lieux de vente. La parfumerie (Séphora, Marionnaud…) s’est notamment lancée sur le créneau, sans oublier l’apparition des marques distributeurs (MDD) en GMS : Carrefour en premier, avec la gamme Agir Bio, suivi de Auchan, Casino en janvier 2009 ou encore Monoprix. Même le hard discount s’y est mis, comme les marques Lacura chez Aldi et Pure Harmony chez Norma… Des groupements de pharmacies ont également annoncé leur arrivée avec des marques propres… Et nous ne parlerons pas des marques qui distillent des messages « nature » ou « bio », dans une politique claire de « green washing » pour coller au marché. Mais c’est un autre sujet qui mérite à lui seul d’être développé. Ne sont pas en reste pour créer des lignes « bio » les marques qui ont leurs propres boutiques exclusives, dont l’activité principale n’avait au départ que peu de choses à voir avec la beauté, mais qui se basent sur leur image de vendeurs de produits « traditionnels » ou « liés à la nature » comme Olivier & Co, Résonances ou Nature & Découvertes. Mais là où cela devient plus symptomatique, c’est l’arrivée que l’on pourra qualifier « d’opportuniste » (sans jugement de valeur, uniquement dans le sens commercial du terme !) de marques qui n’étaient jusqu’à ce jour ni vraiment liées à la cosmétique, ni vraiment liées à la nature. C’est notamment le cas du monde de la mode, avec d’une part la chaîne de magasin Ekyog, certes née comme « Première enseigne de mode biologique » qui possède une trentaine de magasins en France et surtout le « géant » suédois H&M avec ses 120 magasins en France, qui ont également lancé des gammes de cosmétique bio… Et il ne faut pas oublier – nous ne dirons rien ici sur les innombrables sites de vente en ligne ! – le « boom » des « mamans entrepreneurs », véritable phénomène de société aux Etats-Unis avec plus de 7 millions de « Mampreneurs » : des femmes qui créent leur entreprise après l’arrivée d’un enfant. De plus en plus nombreuses en France, elles profitent de leur congé maternité, de l’explosion du commerce en ligne et du statut d’auto-entrepreneur pour créer leur société. Elles vendent des vêtements pour bébé, du vin, des bougies artisanales et « bien sûr » des cosmétiques bio ! Autant de concurrents qui sont venus se partager ce « gâteau » de la cosmétique bio en croissance : certes il est bien plus gros, mais il y a aussi beaucoup plus de monde qu’avant à vouloir en réclamer un morceau !
On a vu plus haut qu’il y a encore un manque de précision sur le marché exact de la cosmétique bio…. Les données les plus récentes sembleraient indiquer que les produits « bio et naturels » représenteraient actuellement, si on ne se limite pas aux produits certifiés stricto sensu, à 12 à 15 % du marché de l’hygiène-beauté, avec une proportion montant même à 31 % des soins pour le corps, 19 % des gels-douches, 14,5 % des déodorants et 6,1 % des soins visage (7). Toute la difficulté de la cosmétique bio « certifiée » à garder son identité spécifique ressort de cette statistique.

Une bonne image de l’évolution a néanmoins été donnée par le cabinet franco-allemand Ecozept dans son étude publiée fin 2009 (voir graphiques ci-contre en bas à gauche). On voit que très nettement, la part de marché des magasins bio est passée de 51 % en 2006 à 34 % en 2008. S’ils étaient disponibles, les chiffres 2011 seraient encore plus parlants sur cette érosion bien ressentie par lesdits magasins bio, et qui peut être aussi illustrée par l’information donnée par Geneviève Dupont, directrice de la communication L’Oréal Grand Public France, que sur le marché de l’hygiène-beauté, « tous circuits et marchés confondus, Ushuaia devance le leader historique Weleda avec une part de marché de 18,4 % en volume » et celle de Laurence Richet, chef de marché cosmétique du groupe Lea Nature, qui estime qu’à l’horizon 2030, le rayon du bio certifié « devrait représenter 30 % des ventes à I’horizon 2030, selon certains analystes. Le naturel et le bio représentent déjà 15 % des soins visage»(8). Dans une telle dynamique globale du marché de la cosmétique bio, comment le magasin bio peut-il garder son identité et sa spécificité et continuer à profiter de la croissance ? C’est ce que nous essaierons de voir dans nos prochains articles.

1) Etude Centreco : « Focus sur la production de parfums et cosmétiques en région Centre, La filière parfums et cosmétiques en France », étude menée pour le conseil régional du Centre par Centreco, février 2011 (chiffres d’après la FEBEA, Fédération des Entreprises de la Beauté).
2) Source : Ubifrance.
3) « La distribution de parfums et cosmétiques », étude de la société Precepta (Xerfi), février 2009.
4) « Les Chiffres de la Consommation Responsable Édition 2009 / Évolutions et tendances depuis 2006 » : Rapport 2009 de mescoursespourlaplanete.com, site initié par « Graines de Changement ».
5) Eurostaf : « Le marché français des cosmétiques bio et naturels », décembre 2010.
6) Selon Samuel Gabory, président de Cosmébio et PDG des Laboratoires Alvend, interviewé en mars 2011 pour le site du salon Natexpo, la croissance 2010 a été de 17 %, avec un chiffre d’affaires de de 287 millions d’Euros en 2010 contre 210 millions en 2007.
7) « Produits bio : l’avenir du marché hygiène beauté ? » in Points de vente, 9 mai 2011
8) « Produits bio : l’avenir du marché hygiène beauté ? », Points de vente, 9 mai 2011

Michel Knittel

Manasa Conseil
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