Des convives satisfaits, des cuisiniers qui retrouvent du sens à leur travail, et une collectivité qui ne paie pas plus cher… Découvrez l’expérience enthousiasmante de Romainville, commune de plus de 30000 habitants en Ile-de-France dont la cantine est passée au 100% bio, local et fait maison, dans cette interview d’Aventure Bio.
Simon Le Fur : Bonjour François Dechy, vous êtes maire de Romainville, en Île-de-France, en Seine-Saint-Denis (93), une ville de 30 000 habitants et j’ai le plaisir de vous interviewer parce ce que vous avez lancé votre ville dans une démarche de cantine 100% bio et locale. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
François Dechy : 100% bio, local et fait maison ! Le premier sujet pour nous c’était effectivement de reprendre notre destin en main sur la question de la qualité de la restauration dans nos écoles et de repositionner clairement le temps du repas, le temps de la restauration scolaire comme un temps visant le bien-être des enfants et un temps intégrant une dimension pédagogique forte.
Donc le choix qu’on a fait, c’est de partir d’une situation qui a mobilisé beaucoup les parents d’élèves contre le système de la liaison froide et de la cuisine de réchauffe et de la cuisine industrielle… et plutôt que d’essayer d’améliorer le système, d’améliorer les cahiers des charges, de mettre un peu plus de bio, un peu plus de local, on a choisi de prendre le problème à l’envers et de tracer une voie radicale et pragmatique.
Radicale parce qu’on a choisi de relocaliser les cuisines. Notre vision, c’est la décentralisation : quitter ce système fou des cuisines centrales toujours plus grosses, où il n’y a finalement plus de liens entre ceux qui cuisinent et ceux qui consomment, où il n’y a plus de retours d’expérience des convives à leur cuisinier, pour revenir à la réimplantation de cuisiniers dans chaque école et de repositionner le cuisinier comme un des acteurs de la communauté éducative.
« Plutôt que d’essayer d’améliorer le système, on a choisi une voie radicale et pragmatique en relocalisant les cuisines » François Dechy
Donc ça, c’est la première dimension de radicalité. La deuxième, c’était de cuisiner un maximum local, y compris quand on est une ville de la première couronne, dense, on a la possibilité en travaillant en coopération et d’avoir un maximum de local.
Et puis, pour être très au clair et pas se perdre dans des justifications, dans des améliorations à la marge ou dans des labels qui n’en sont pas, on a délibérément choisi d’être en 100% bio.
S. L. F. : La loi EgAlim vous demande 20 % de bio, vous avez choisi d’être 100% bio…
F. D. : Nous, notre projet politique, c’est d’être en 100% bio pour donner le meilleur à nos gamins et pour être dans une cuisine du quotidien avec des vrais cuisiniers qui cuisinent des produits bruts, non transformés et qui construisent un menu en fonction des saisons, aussi en fonction des goûts des gamins puisque ce n’est pas pareil de cuisiner le matin et de servir ce que vous avez cuisiné à des convives qui vous font un retour en direct, que de cuisiner pour une consommation à J+1, J+2, J+3, J+4 dans des barquettes avec l’interface de toute la logistique et de la cuisine centrale.
Donc c’est ce qu’on a voulu faire de manière radicale et en même temps pragmatique puisqu’on a choisi d’avoir un premier site pilote. Et comme on a très peu de retours d’expérience – en fait pas du tout – de communes de notre taille qui se sont lancées dans cette aventure de relocalisation de la cuisine dans l’école et d’être en 100% bio, on a voulu le faire sur un premier site pour voir si ça marche. Parce qu’on évolue dans un écosystème aujourd’hui, où on nous dit souvent que la centrale, c’est la seule solution pour des questions économiques, pour des questions d’hygiène, pour des questions opérationnelles, pour des questions RH et on avait cette intuition qu’on a besoin de déconstruire cette vision industrielle de la cuisine… Mais on avait finalement assez peu de littérature et de retours d’expérience sur la faisabilité.
« Aujourd’hui, 8 personnes cuisinent et servent 350 repas par jour aux enfants »
On a choisi un premier site pilote, en choisissant délibérément d’implanter cette première cuisine bio locale fait maison au cœur d’un quartier de la ville, un quartier populaire de Romainville qui s’appelle Gagarine, et de pouvoir mener cette aventure avec l’accompagnement d’une société Coopérative d’Intérêt collective qui s’appelle Nourrir l’Avenir qui fait des cuisiniers diététiciens, des acteurs de la restauration impliqués dans la bifurcation de nos modèles de restauration et qui ont travaillé avec les services de la Ville pour concevoir ce premier site pilote, retiré la ligne de self aménagée et basculé sur un système qui permet aux cuisiniers de cuisiner dans une cuisine au plus près des enfants avec un service à table.
S. L. F. : Concrètement, ça veut dire que vous avez installé une cuisine ? Avec quelle taille ? Combien de personnes travaillent dans cette cuisine relocalisée ?
F. D. : Aujourd’hui, vous avez 8 personnes qui cuisinent et servent 350 repas par jour à des enfants. On a démarré – ce qui n’est pas le plus facile quand on fait du bio local – mais on a choisi de démarrer en janvier. Ce qui était aussi une façon de déjouer ceux qui nous disaient « Ah là là ! Le 100% bio local en janvier-février-mars, c’est quand même un peu triste ! » et pour montrer qu’avec de l’imagination, avec de la responsabilité et des cuisiniers qui reprennent plaisir à faire correctement leur métier, on pouvait avoir un retour d’expérience-convive très positif, très favorable.
C’est un sujet très fédérateur donc, globalement, on a une très forte satisfaction convive et parents d’élèves; on a un gaspillage alimentaire qui a été divisé par trois alors même qu’on n’est pas sur la période la plus facile pour les légumes : on a de l’endive, du poireau, de l’épinard… C’est des produits qui sont souvent plus complexes que les tomates ou les courgettes !
« On a un gaspillage alimentaire divisé par trois, on a des convives heureux et des agents publics heureux de retrouver du sens dans leur travail »
On a donc un gaspillage alimentaire divisé par trois, des convives heureux, et des agents publics satisfait de retrouver du sens dans leur travail, de retrouver des métiers de qualité, puisque quand vous êtes dans un office de réchauffe, vous avez aussi des contrats à temps partiel ( puisqu’il n’y a pas besoin d’être là très longtemps pour réceptionner des barquettes, les réchauffer et les servir aux enfants). Quand il faut partir des produits bruts, des légumes bruts, il faut être là : donc ça permet de créer des contrats à temps plein. Donc on a des agents publics qui retrouvent des contrats, j’allais dire « moins précaires et plus qualitatifs » et qui, surtout, retrouvent un sens à leur travail, un lien direct entre leur travail, la qualité de leur travail et la satisfaction des usagers.
Et tout ça, c’est pas plus cher ! C’était notre défi au démarrage. On s’était même préparé avant l’expérimentation ! Aujourd’hui, en coût complet, notre repas nous coûte plus de 7 euros. Quand on prend le coût d’achat du repas en barquette auprès de notre syndicat intercommunal de restauration, la masse salariale de nos agents qui réceptionnent et qui servent ces repas, l’amortissement de nos investissements liés aux espaces de restauration, on est entre 7 et 7,50 € par repas.
Donc notre ligne de flottaison, c’était de dire « on essaie de montrer que ça coûte pas plus cher » alors même que ça pourrait coûter plus cher – et on pourrait soutenir politiquement le fait que « 100% bio local fait maison », ça pourrait être un objet d’engagement public, de financement public parce que, vous le savez, à la cantine, les parents en moyenne paient moins d’un tiers du coût du repas et, bien évidemment, il le paient suivant leurs revenus. Nous, on a des tarifications qui vont de 50 centimes, pour les revenus les plus faibles, jusqu’à 4,50 €. Donc notre objectif, c’était de passer d’un système avec beaucoup de logistique et beaucoup de plastique et finalement peu de main d’oeuvre sur place à un système avec peu de logistique, zéro plastique, des produits bruts transformés par des vrais cuisiniers sur place… Et au bout de quatre mois, tous les calculs étant fait, on est sous la barre des 7 euros en étant 100% bio.
« Et tout ça, c’est pas plus cher ! En coût complet, notre repas nous coûte plus de 7 euros »
Pourquoi ? Parce qu’on a moins de gaspillage, on a un travail au quotidien qui permet d’éviter les déchets, il n’y a pas de barquette qui reste au frigo et qu’on est obligé de jeter.
Si l’ensemble des carottes râpées du lundi n’ont pas été servies, on peut les remettre dans la soupe le lendemain… Il y a beaucoup d’ingéniosité et le budget de 2 euros par repas – 2 euros de produits bruts – qu’on laisse à notre cuisinier lui permet de piloter sur sa semaine l’ensemble de l’opération avec beaucoup d’autonomie – et beaucoup de plaisir dans le travail de ces produits – et la possibilité de proposer systématiquement, chaque jour, une alternative végétarienne sachant qu’on est une cuisine qui ne s’interdit rien. On mange de la viande, mais de la bonne, on mange du poisson, mais de petites pêches et en poissons entiers, et on prend plaisir à manger parfois ou souvent, alors chez nous, on dit pas « végétarien », on dit « Végétatout » ou « Végétaplus ». On est dans quelque chose de très ouvert et qui fonctionne très bien au niveau des convives.
S. L. F. : Super ! Et du point de vue des approvisionnements ? Parce qu’on a dans les gens qui nous regardent des entreprises qui travaillent dans la bio, vous vous approvisionnez en local, vous faites appel à des grossistes peut-être pour certains produits ?
F. D. : C’est tout le sujet à la fois du dimensionnement puisqu’on y va progressivement. Notre objectif, c’est d’avoir ce premier test qui est concluant, ce qui va nous permettre d’engager la transition de notre modèle sur les 10 prochaines années puisqu’on a 13 sites à mettre en œuvre, il y a des sites où ce sera plus facile que d’autres.
On doit construire une école sur le mandat donc, là, on va pouvoir intégrer ce système dès la construction. Il y a d’autres écoles qui sont beaucoup plus anciennes sur lesquelles la construction d’une cuisine sera beaucoup plus lourde en termes d’investissement, donc on a un plan sur 10 ans.
« Il n’y a pas de barquette qu’on est obligé de jeter. Si l’ensemble des carottes râpées du lundi n’ont pas été servies, on les met dans la soupe le lendemain »
D’ici la fin du mandat, on va pouvoir faire deux autres écoles maintenant que le concept est éprouvé. Aujourd’hui, on a des achats pour 350 repas et on est une cantine en régie publique municipale, donc on doit respecter les règles des marchés publics.
Quand on veut travailler en bio local en direct producteur et en produits bruts, un travail de repérage qui a été fait, d’accompagnement aussi d’un certain nombre de paysans qui pouvaient répondre, on a aussi la coopérative Bio d’Ile-de-France pour travailler en bio, en local, en circuit court. Ensuite, on a des intermédiaires aussi comme Dynamis qui ont remporté certains lots mais, effectivement, c’est une aventure qu’on doit construire progressivement et sur laquelle il faut aussi qu’on contribue à la structuration de filières pour qu’on puisse avoir des approvisionnements en circuits courts qui fonctionnent bien et qu’on puisse aussi avoir une taille critique et des contraintes logistiques qui permettent aux paysans de s’y retrouver dans le fait de travailler avec nous.
S. L. F. : Si des acteurs d’Île-de-France sont intéressés pour vous proposer des choses, vous êtes encore en recherche de fournisseurs ou pour l’instant le périmètre est cadré ?
F. D. : On a volontairement fait une restitution publique de notre expérimentation. On estime que notre modèle de restauration, c’est d’abord un choix politique fort mais qu’aujourd’hui, on ne peut pas faire des choix politiques radicaux sans démontrer leur pertinence et on se rend compte que c’est l’option la plus radicale de transformation de nos modèles de restauration qui est peut-être la plus pragmatique quand on situe les résultats de cette expérimentation en termes de coûts, en termes de cohérence globale et c’était tout l’objet du colloque de restitution qui était organisé en marge de l’inauguration officielle de la cuisine. Ces données sont publiques, elles sont transmissibles, donc on peut être contacté et on sait qu’on a 2 800 convives à Romainville chaque jour ! On entame cette transition progressivement et on veut aussi accompagner et inspirer d’autres collectivités locales dans cette aventure parce que c’est un sujet auquel on croit et qu’il nous semble que la coopération intercommunale sur ces sujets là doit changer d’objet.
« On veut aussi accompagner et inspirer d’autres collectivités dans cette aventure parce que c’est un sujet auquel on croit »
Il nous semble qu’il y a traditionnellement sur nos territoires beaucoup de coopération intercommunale sur la question de la restauration mais elle porte aujourd’hui quasi exclusivement sur la production en cuisine centrale et, nous, on pense que la production doit être redécentralisée parce que c’est un sujet fondamental si on veut assurer une restauration collective de qualité et partie prenante des projets pédagogiques des établissements ; mais, par contre, que le sujet de la coopération est fondamental si on veut construire des filières, si on veut sécuriser les approvisionnements, si on veut offrir des débouchés qui permettent à des paysans de tirer un revenu décent de la vente de leurs produits auprès des collectivités. C’est tout un écosystème qui doit se transformer et on souhaite être ouvert à toutes ces formes de coopération qui permettront d’aller plus loin et plus vite sur ces sujets !
Retranscription : Laura Duponchel avec ChatGPT