À l’occasion de l’assemblée générale du Synabio, Bio Linéaires a fait le point avec Emily Mayer, directrice des études à Circana, sur la situation du marché bio en grandes surfaces. Cette dernière alerte sur le risque de « tuer le marché » à force de déréférencement de produits bio et détaille les pistes pour sortir de la crise : lever le frein du prix qui demeure le premier frein à l’achat de produits bio, travailler la pédagogie afin d’expliquer aux consommateurs les atout d’une alimentation bio (pour la santé, l’environnement…) et travailler sur la dimension plaisir afin que les consommateurs l’associent au fait de manger bio.
« Les gens n’associent pas le fait de manger bio à une consommation plaisir »
Écouter l’interview d’Emily Mayer, directrice des études à Circana
Bio Linéaires: Bonjour Émily Mayer vous êtes de Circana et vous venez de présenter les chiffres de la GMS en bio lors de l’assemblée générale du Synabio, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette situation ?
Emily Mayer : Le marché bio en grandes surfaces alimentaires est un marché qui a progressé vraiment très fortement avec des croissances à deux chiffres jusqu’à l’année 2020 et puis le marché s’est retourné au début de l’année 2021 et éprouve depuis des difficultés importantes qui se sont accrues avec l’inflation. C’est un facteur qui est venu tendre encore un peu plus le marché qui est globalement, sur les 12 derniers mois, un marché qui a une évolution de volume qui est très négative : on est à -11 % en volume donc à peu près trois fois moins bien que l’ensemble du marché des produits de grande consommation.
La baisse de volume est telle que ça emporte le chiffre d’affaires puisqu’on est sur une baisse de 1,3 % du chiffre d’affaires sur les 12 derniers mois pour le bio en grande distribution donc, quelque part, le marché retourne un peu en arrière, sur les quantités vendues en bio en 2023 on revient au niveau de 2019.
On a effacé les dernières années finalement et le marché pèse sur les dernières périodes moins de 4 % du chiffre d’affaires des produits de grande consommation.
« Le risque de sortir trop de références bio : c’est de tuer le marché »
BL : Vous avez parlé de rationalisation de l’offre. Est-ce que vous voyez quand même des signaux positifs pour l’avenir du marché bio en GMS ?
EM : C’est vrai que les coupures dans les assortiments sont très massives. Je vous disais que les volumes étaient à -11%, l’offre elle est à -10 donc globalement la baisse de l’offre est assez responsable en tout cas une bonne partie de cette baisse des volumes. Le marché avait besoin d’être écrémé parce que c’est un marché qui s’est développé sur un temps très court de manière très intensive en grande distribution et donc il fallait faire un petit peu de ménage dans les rayons. Maintenant, il ne faut pas aller trop loin parce que le risque de sortir trop de références bio : c’est de tuer le marché tout simplement.
Il semblerait que ce point d’équilibre, on soit en train de l’atteindre et que globalement aujourd’hui, si on arrivait à redonner un petit peu de place au Bio, on ferait du bien au Bio. On ferait du bien aussi à l’ensemble de la consommation en grande surface donc là on est à un point important où les rationalisations doivent cesser et on doit stabiliser le marché bio.
« Il faut lever le frein du prix parce que c’est le premier frein à l’achat de produits bio »
BL : Outre la rationalisation de l’offre, est-ce que vous voyez d’autres pistes pour sortir de cette crise ?
EM : C’est vrai que l’étape numéro un, c’est de stopper ces rationalisations et là, on a des éléments objectifs pour dire que « ça y est, il faut arrêter » ; ça n’empêche pas qu’il faut aussi travailler la demande parce que le bio a aussi une forme de fragilité sur la demande.
Donc pour relancer la demande du label, il y a trois axes : il faut lever le frein du prix parce que c’est le premier frein à l’achat de produits bio, la cherté des produits bio.
Le deuxième frein, c’est travailler la pédagogie. Il faut expliquer aux gens en quoi la consommation de produits bio est intéressante pour la santé, pour l’environnement.
Puis le troisième frein à la consommation du bio, c’est la notion de plaisir. Les gens n’associent pas le fait de manger bio à une consommation plaisir et les Français mangent avant tout pour se faire plaisir donc c’est vrai que travailler sur la dimension plaisir, d’expliquer à travers une pédagogie assez poussée les bénéfices du label, c’est certain que ça permettra de lever le premier frein à l’achat qui est le prix parce que quand on comprend pourquoi on doit investir dans un produit on le fait plus facilement donc il faut expliquer pour motiver les gens à la consommation du bio !
Propos recueuillis par Antoine Lemaire