Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ) nous alarme régulièrement sur les effets dramatiques du réchauffement climatique. Il vient de publier un intéressant rapport sur la dégradation des sols.
Un bilan pas vraiment réjouissant
Dans son nouveau rapport (Climate Change and Land), publié en août 2018, le GIEC fait le bilan de l’état des sols sur la planète (Ndlr : cet article de Claude Aubert est initialement paru dans Bio Linéaires N° 86 – Novembre / Décembre 2019 à retrouver ICI). Un bilan qui montre notamment qu’un tiers des sols de la planète est dégradé et que le réchauffement climatique menace la sécurité alimentaire car il provoquera « une baisse des rendements, surtout dans les régions tropicales, l’augmentation des prix, la réduction de la qualité des aliments et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement » (Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail du GIEC). Le GIEC résume l’évolution de l’agriculture entre 1961 et 2017 par quelques chiffres :
● utilisation d’engrais minéraux : + 800 %
● augmentation du rendement des céréales : + 200 %
● augmentation des surfaces irriguées : + 110 %
● augmentation du nombre de ruminants : + 70 %
● augmentation de la population victime de la désertification : + 195 %
● diminution de la surface des zones humides : – 25 %.
La première chose qui frappe dans ces chiffres est que, alors qu’au niveau mondial l’utilisation d’engrais chimiques a été multipliée par neuf, les rendements n’ont été multipliés que par trois, malgré le doublement des surfaces irriguées. L’augmentation de ces dernières et du nombre de ruminants sont également très problématiques.
Après le constat, les remèdes. Ils sont, en plus de la diminution des pertes et du gaspillage, de deux types : des techniques agricoles plus durables, et un changement des habitudes alimentaires.
Des techniques agricoles durables
Nous nous attendions à trouver, en bonne place, parmi les solutions, l’agriculture biologique et la réduction des engrais azotés de synthèse. Dans le rapport de synthèse de 41 pages destiné aux décideurs, nous avons cherché le mot « organic farming » (agriculture biologique) et avons fini par le trouver page 24, dans une note de bas de page, en petit caractère, sans autre commentaire. Quant à la réduction des intrants (engrais et pesticides), il n’en est question nulle part. Alors quelles sont les solutions proposées ? Elles sont très classiques : agriculture de conservation, diversité des espèces cultivées et forestières, conservation des pollinisateurs, rotations, agroforesterie, agriculture biologique, quand même !, protection intégrée, agriculture de précision, agroécologie.
Des solutions intéressantes, avec deux réserves : l’agriculture de conservation, non travail du sol, n’est pas généralisable et n’a pas toutes les vertus que lui prêtent ses promoteurs ; contrairement à ce qu’ils disent et contrairement à l’agriculture biologique, elle séquestre très peu de carbone dans le sol, et est difficile à pratiquer sans herbicides. L’agriculture de précision qui consiste, avec des moyens de haute technologie, géolocalisation, à apporter les fertilisants à la dose correspondant exactement aux besoins du sol, à l’intérieur même d’une parcelle, n’est applicable qu’à de grandes exploitations maîtrisant ces technologies et pouvant faire les investissements nécessaires. Quant à l’agroécologie, c’est un excellent concept, mais chacun l’interprète à sa manière. L’agriculture biologique est donc la grande oubliée de ce rapport, même si elle est mentionnée. Elle est pourtant le meilleur moyen, avec l’ « agroforestry », de séquestrer du carbone dans le sol, ce qui présente le double avantage d’améliorer sa fertilité et d’absorber une partie des émissions de CO².
Que mettre dans notre assiette ?
Curieusement, lors de la publication de ce rapport, bon nombre de commentateurs ne se sont intéressés qu’à ce volet, certains concluant un peu vite que le GIEC prônait le végétarisme. Il n’en n’est rien, même s’il préconise effectivement « un régime
alimentaire mettant en avant les aliments d’origine végétale tels que ceux basés sur les céréales complètes, les légumineuses, les fruits et légumes, les fruits à coque et les graines oléagineuses, et des aliments d’origine animale produits d’une manière durable et peu émettrice de gaz à effet de serre ». Cependant, l’élevage industriel n’est pas clairement condamné et la nécessité de réduire considérablement la consommation de produits animaux n’est pas soulignée. On remarquera que parmi les quatre familles d’aliments végétaux préconisés, on trouve les fruits à coque (noix, noisette, amandes, noix de cajou et autres) dont l’exceptionnel intérêt nutritionnel a été confirmé par de nombreuses publications scientifiques récentes. Ils présentent aussi l’avantage d’être produits par des arbres et des arbustes, qui séquestrent du carbone dans le sol. En conclusion de ce rapport il faut donc se réjouir que l’ONU, à travers le GIEC, s’intéresse au sol et propose des solutions pour remédier à leur dégradation, mais on doit dire : peut mieux faire !
Claude Aubert
Cet article est paru dans Bio Linéaires N° 86 – Novembre / Décembre 2019 à retrouver ICI