À l’heure de grands bouleversements pour la bio, une question peut se poser : quel avenir y a-t-il pour les marques présentes en magasin spécialisé bio (MSB) ? Éléments de réponses avec les experts Burkhard Schaer (Ecozept), Sauveur Fernandez (econovateur), Bernard Ollié (Good), François Labbaye (Bio Panel) et Fabien Foulon (Retail&Detail).
Burkhard Schaer
Un des grands enjeux de la performance des magasins bio ce sont les produits d’appel. Actuellement, seulement les fruits et légumes remplissent cette fonction et on peut penser que cet assortiment à lui seul ne suffit pas pour stimuler la fréquentation (ni le recrutement). Le lait et les œufs, la GMS conventionnelle s’en est saisi pour attirer la clientèle avec affinité bio, grâce à des prix bas.
Quelles sont les marques, MDD ou autre, qui peuvent remplir ce rôle en magasin bio ? Où sont les marques fortes, désirables, uniques ?
Fabien Foulon
Face à la crise actuelle, les marques (nationales, régionales et MDD) ont un rôle important à jouer pour améliorer la couverture des différents besoins et aider le réseau spécialisé à retrouver le chemin de la croissance. Cette croissance passe, entre autres, par les 25-34 ans, qui d’après le Baromètre de l’Agence Bio… sont des adeptes des magasins bio… sont plus sensibles que la moyenne aux marques, à la praticité et à l’innovation… mais aussi au vrac et à l’aspect des produits («non lavé, susceptible de porter la terre, non calibré»). Elle passe aussi par la reconquête 35-49 ans (surtout des familles), particulièrement sensibles au prix (et au Drive).
L’enjeu est alors de trouver un bon équilibre entre : marques et pricing ciblés (ex. : MDD, listes petits prix, Elibio, Luce…), formats familiaux plus accessibles en prix, marques et produits innovants mais sans excès et identités visuelles peut-être plus « Roots » pour certaines marques. Pour les 25-34 ans, un exemple à suivre chez les EAP non bio : l’enseigne Miyam.
Sauveur Fernandez
Quelles sont les marques, MDD ou autre, qui peuvent remplir ce rôle en magasin bio ? Où sont les marques fortes, désirables, uniques ?
Les grandes enseignes bio tendent actuellement à privilégier leurs marques MDD (36 % de PDM en objectif pour la plupart). Celles-ci sont peu ou pas segmentées, à l’inverse de la GMS, créant un effet d’uniformisation de l’offre. Les magasins bio privilégient aussi une poignée de grandes marques nationales : 15 s’imposent avec 26 % de PDM, hors vrac et MDD. Nous nous rapprochons du phénomène des « sœurs ennemies » instauré entre les GMS et les grandes marques conventionnelles. Les marques bio adoptent quant à elles souvent une communication et un graphisme « GMS style », conçus pour des cibles familiales classiques et les +40 ans. Tout ceci entraîne une standardisation larvée de l’offre et une faible différenciation entre enseignes et labels.
Il devient urgent de restaurer une saine biodiversité de marques avec plus de petites marques locales et/ou atypiques bio, sur le modèle des épiceries fines, expertes en ce domaine. De nouvelles collaborations sont à trouver pour imaginer une nouvelle race de produits bio accessibles (MDD locavores, développement d’association de paysans transformateurs indépendants). Le tout contribuera à redonner à la bio son rôle de label leader. Il est intéressant de constater qu’aux États-Unis, les enseignes bio et de nouvelles générations de point de vente de consommation responsable, ont pris conscience de l’importance de se distinguer avec une offre réduite qui met en vedette de petites marques locales ou émergentes (phénomène appelé curation). Elles développent pour cela des programmes actifs de soutien. Citons l’initiative Diverse Entrepreneur Incubation de l’enseigne bio PCC Community Markets, le programme Up & Comers du nouveau «grocerant» Foxtrot (épicerie + restauration). La GMS américaine empreinte aussi cette voie (Small Business Resource Guide de Kroger). `
Bernard Ollié
Poser la question de l’avenir des marques en MSB, c’est poser la question de l’avenir de leur différence. Le marketing est une science expérimentale qui a compris que la marque est un actif intangible qui s’optimise en maximisant sa différence. C’est la différence qui crée un rapport qualité – prix favorable. À qualité perçue identique (Nature = Bio par ex.), la préférence se fait par le prix ; c’est la raison de la chute actuelle des MSB, même qualité, moins cher ailleurs.
Quel avenir donc pour les marques en MSB aux destins liés ? Celui de rester différentes, fidèles au projet d’origine, une alternative à une consommation sans projet détruisant la nature, l’humain et la santé. Mais pour y arriver, il faut travailler cette différence et ne pas être juste éblouis par le bien fondé du projet.
Et du côté des consommateurs alors ?
François Labbaye
Le consommateur reste depuis quelques années sur la même vision : il veut «comprendre» ce qu’il achète – et donc le contenu aussi de la marque. Les marques doivent de fait intégrer que, pour le consommateur bio, avoir de bons produits est «normal», le fait que ce soit labelisé, c’est «normal», et que ce soit équitable, pour certains, c’est aussi «normal». Donc, les marques doivent se différencier par leur vision, leurs valeurs, leur partage de la valeur. Il faut communiquer en étant compréhensible – lisible – et simple.
Montrez vos différences avec des marques qui sont uniquement remplies de marketing vide de sens. Montrez que votre produit a de la valeur face à des produits «vides» de sens et de «sain» !