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Réglementation vs. allégations Quel cadre et quelles limites ?

La projection de franges, une méthode servant à mesurer l’évolution du relief cutané, fait partie des techniques sophistiquées qui permettent aujourd’hui de valider avec sérieux les allégations cosmétiques (photo Laboratoire Spincontrol).

Pour la dernière « interview croisée » de notre série commencée en janvier 2015, et après avoir parlé de certification, de distribution et des attentes des consommateurs, nous nous penchons sur un sujet qui mérite largement qu’on s’y arrête un instant, à savoir celui des allégations. Aucun cosmétique ne se vend sans des promesses spécifiques de résultats à plus ou moins long terme. Ces promesses ne sont-elles que pur marketing, et si non comment peut-on en être certain ?

Pour ce faire, nous avons choisi une nouvelle fois deux personnes issues d’horizons différents. La première est Catherine Lenain, Directeur Déontologie de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), organisme connu jusqu’en 2008 sous le nom de Bureau de vérification de la publicité (BVP). Et pour lui faire écho, nous avons sollicité le responsable d’un laboratoire spécialisé dans les tests d’objectivation des produits cosmétiques, Patrick Beau, PDG du laboratoire Spincontrol basé à Tours.

Présentez-nous tout d’abord en quelques phrases ce que vous faites…

Catherine Lenain, Directeur Déontologie de l’ARPP.

(Catherine Lenain) L’ARPP est une association Loi de 1901, qui s’occupe de l’éthique de la communication publicitaire, c’est-à-dire qu’elle veille à ce que la publicité soit loyale, véridique et saine. Née en 1935, c’est la plus ancienne dans son genre en Europe. Sont concernées toutes les publicités à destination du grand public, dans tous les domaines de la consommation, sachant que la cosmétique est le premier secteur s’étant doté de règles d’éthique publicitaire. Au sein de l’ARPP, mon rôle consiste à faire évoluer les règles déontologiques existantes et à répondre si besoin aux nouvelles thématiques qui apparaissent.

(Patrick Beau) Spincontrol est une société qui a 24 ans et qui est un laboratoire agréé qui mesure les performances des cosmétiques, c’est-à-dire leur efficacité et leur tolérance, et ce uniquement sur des personnes volontaires. La maison-mère est basée à Tours, avec environ 35 collaborateurs, avec des filiales et des joint ventures en Inde, en Thaïlande, en Indonésie, et au Canada. Nous faisons exclusivement des tests cosmétiques, ce qui inclut néanmoins des compléments alimentaires et des dispositifs médicaux, c’est-à-dire en ce qui nous concerne de la cosmétique instrumentale.

La définition légale d’un produit cosmétique est assez large mais en même temps plutôt précise1. Ex abrupto, que vous inspire-t-elle ?

(CL) Côté positif, pour une définition de produits, elle est plutôt bien faite, assez complète. Mais comme tout texte réglementaire, il sera peut-être un jour nécessaire d’essayer de la faire évoluer. Peut-être qu’une phrase ou deux sur ce que n’est pas un produit cosmétique, pour mieux marquer  la frontière, nous faciliterait la tâche. Car nous devons souvent convaincre nos interlocuteurs que les cosmétiques ne sont ni des médicaments ni des dispositifs médicaux, qu’ils ne peuvent pas présenter des propriétés de prévention des pathologies, avoir une action sur le métabolisme général, etc. Par ailleurs, en pensant à la fameuse phrase relative aux « couches supérieures de l’épiderme », que l’administration exige parfois encore, cela ne nous semble plus adapté ni à l’argumentaire développé dans la publicité, ni à la perception des consommateurs. Il faudrait reprendre ce problème et y réfléchir.

Patrick Beau, PDG de Spincontrol.

(PB) Je pense qu’elle est plutôt bien adaptée à ce qu’on attend d’un produit cosmétique. Pour moi, elle n’est pas à retoucher et est plutôt pertinente, même pour le (nouveau) domaine des cosméto-textiles par exemple. Car en fait de compte, à quoi sert un produit cosmétique ? Il sert à améliorer l’image qu’on a – et qu’on donne – de soi, à gommer principalement l’action du temps qui passe. Un cosmétique est donc vraiment et essentiellement un produit de beauté.

Que signifie pour vous « valider une allégation », à savoir quel est pour vous le minimum qu’une marque doit prendre en considération ?

(CL) Valider une allégation, pour ce qui nous concerne, consiste à donner une appréciation sur la conformité de la promesse au regard des résultats des tests et autres études que produisent les entreprises concernées. Nous vérifions aussi la façon dont l’allégation est formulée, à savoir sa conformité aux règles figurant dans les Recommandations que nous publions pour les produits cosmétiques, et dont la dernière version date d’octobre 20132. En d’autres termes, nous regardons d’abord, avec un œil de juriste, si la marque dit la vérité, au vu du dossier scientifique soumis, et ensuite – si ces preuves sont admises – nous vérifions si les termes employés répondent aux règles déontologiques. Dans la pratique, notre activité principale porte sur le conseil avant diffusion des messages publicitaires, les entreprises ou leurs agences de communication venant volontairement nous consulter (celles de la cosmétique étant plutôt bons élèves en la matière) pour une vérification préventive des allégations utilisées, avec une éventuelle adaptation si nécessaire. Pour  ce qui concerne la publicité télévisée cependant, un avis préalable favorable nous est systématiquement demandé par les régies publicitaires des chaînes. Par contre, pour les autres médias, c’est vraiment une démarche volontaire des professionnels. Et après diffusion, nous pouvons aussi être saisis par un particulier, une association ou une entreprise, qui peut nous demander de nous prononcer sur le bien-fondé d’une publicité, de même que nous faisons des bilans réguliers, dans lequel nous citons nommément les marques qui ne respectent pas les règles. Mais il faut reconnaître que les réels excès sont aujourd’hui rares en cosmétique.

(PB) Cela dépend du sens dans  lequel on prend la question. Soit le service Marketing attend les résultats que nous lui fournissons pour faire un message marketing qui colle parfaitement aux résultats. Soit le Marketing part sur une idée qu’il peut avoir de son allégation et adapte les résultats qu’on lui fournit en fonction de cette idée initiale. C’est plus dans ce second cas qu’il peut y avoir des difficultés et qu’une certaine prudence est de mise. Pour moi, il y a cependant de moins en moins de dérives. Les allégations, même si elles sont parfois enjolivées et bien tournées par rapport aux résultats des tests, restent assez proches des résultats que nous avons constatés. On relève juste parfois une tendance à mettre en avant les valeurs les plus élevées mesurées, plutôt que les valeurs moyennes. Mais on peut le faire sans forcément franchir de « ligne rouge » et sans entretenir de confusion. Notre rôle de scientifique est de rappeler la primauté des valeurs moyennes, tout en reconnaissant que les valeurs optimales seront aussi pertinentes pour une certaine proportion de consommateurs.

A-t-on vu apparaître, ces 3-4 dernières années, des allégations « nouvelles », avec lesquelles les marques doivent être particulièrement prudentes ?

(CL) Les allégations évoluent, c’est certain, comme le montre notre Recommandation cosmétique qui en est à sa 7e version et est passée d’une demi-page en 1974 à plus de 6 actuellement, la règle s’enrichissant en même temps que les allégations évoluent. Concernant ce qui peut poser problème aujourd’hui, le grand public pense souvent en premier à la retouche des photos, mais cela reste mineur. Le vrai problème concerne la question du rajeunissement, qui touche à la fois aux limites de la définition des cosmétiques, à la complexité des produits et à la difficulté de communiquer de façon claire et compréhensible. La promesse doit être proportionnée et il est toujours nécessaire de rappeler la règle : en cosmétique les bénéfices concernent l’apparence, et elle n’agit pas sur les processus biologiques. Même si des recherches en R&D coûteuses ont été faites, il faut s’en tenir aux résultats cosmétiques, et ne pas utiliser de plus un jargon scientifique pas forcément compris des consommateurs. En même temps, la cosmétique a toujours intégré une certaine part de rêve : on ne peut pas être purement descriptif et le langage et les photos doivent pouvoir l’exprimer. Dans la limite de la vérité bien sûr.

(PB) Il y a deux catégories de nouvelles allégations. D’abord celles qui ne posent pas de souci, comme celle sur la notion de bien-être, à savoir l’émotion positive que peut apporter le produit cosmétique, par son odeur, son packaging, l’environnement du lieu de vente. Des émotions qui en font l’essence même, comme dit au début, à savoir qu’on utilise un cosmétique pour améliorer son image. On l’avait occulté ces dernières années, au profit des valeurs de réduction ou d’augmentation de tel ou tel paramètre (rides, hydratation…). Mais ce qui est nouveau, c’est qu’on a maintenant des outils pour le mesurer scientifiquement, c’est-à-dire pas seulement un questionnaire à remplir. Ces émotions sont en effet quantifiables via des paramètres physiologiques (température cutanée, fréquence cardiaque, dilatation de la pupille), la quantification de certaines molécules (comme le cortisol dans la salive) ou encore la fréquence vocale. Cette allégation nouvelle commence donc à être utilisée, mais il ne faut donc le faire que si on a vraiment vérifié sa réalité et qu’on sait ensuite communiquer dessus de façon pertinente, sans dérive. La seconde catégorie, à laquelle nous ne sommes pas trop confrontés, est quand on rapproche trop un produit cosmétique du médical….

L’époque de la « réclame » avec ses allégations… surprenantes est heureusement révolue. Ici une crème radioactive vendue au tournant des années 30.

Y a-t-il pour vous des allégations qui vont parfois trop loin ?

(CL) Je citerai quelque chose qui a fait l’objet de la version 6 de notre Recommandation, c’est-à-dire la présentation des résultats. Certaines sociétés exprimaient ces résultats de façon particulière, en créant une confusion entre les tests d’efficacité, mesurés scientifiquement, et les tests de satisfaction, ce qui n’est pas la même chose. D’autres sociétés ne mettaient en avant que les performances extrêmes, les meilleurs chiffres, les valeurs moyennes étant moins convaincantes. L’expression de la performance des produits était donc trompeuse. Mais aujourd’hui, ces manières contestables de présenter les résultats ont quasiment disparu, notamment parce que nous avons travaillé étroitement avec la FEBEA (Fédération des Industries de la Beauté), qui a bien convaincu ses membres.

(PB) Oui, c’est justement le cas de ces allégations qui disent par exemple qu’un cosmétique peut calmer des douleurs ou a une action contre les inflammations ou les irritations. Cela appartient clairement au domaine médical et non à la cosmétique, même si certains cosmétiques peuvent de fait atténuer ce genre de symptômes. Les grands groupes en sont parfaitement conscients, mais parfois certaines PME ne se rendent pas compte de là où se trouve la frontière. Nous servons alors de « garde-fou », leur proposant de valider leur message marketing pour le mettre en conformité avec la réglementation. Et s’il y a doute, nous nous mettons en relation avec l’ANSM ou la DGCCRF pour avoir une réponse officielle précise, en gardant bien sûr anonyme le nom de la marque.

Pour conclure sur la cosmétique bio, au centre de notre intérêt chez Bio Linéaires, y a-t-il à votre sens des allégations particulièrement « pertinentes » la concernant, qui devraient être mises en avant ?

(CL) Au début, le discours publicitaire de la cosmétique bio n’était pas satisfaisant, car très centré sur le « sans… sans », avec un message négatif assez étrange en cosmétique : en général, on n’achète pas un produit pour ce qu’il n’a pas. La part de rêve dont nous avons parlé n’était pas présente, la nature ne faisant pas forcément rêver tout le monde. Nous avons aussi parfois dû intervenir sur la réalité du côté bio, qui n’était pas toujours justifié, et sur l’utilisation du discours « sans », qui ne doit pas être dénigrant pour les autres produits. Aujourd’hui, la plupart des grandes marques bio ont rejoint le discours « magique » et valorisant traditionnel de la cosmétique, et arrivent sur le terrain de la performance, du luxe et du confort de l’application, sans se défendre d’être bio. Je pense qu’on peut expliquer la nature d’un produit bio sans être forcément dans le «  sans… », sans être militant, mais en mettant en avant la qualité et la douceur des ingrédients bio, le côté luxe, etc., les consommatrices attendant de façon générale une communication positive.

(PB) A notre niveau, que la cosmétique soit bio ou conventionnelle, il n’y a aucune différence. Nous sommes là pour tester les allégations, et celles-ci sont les mêmes dans les deux cas, ainsi que les outils et les protocoles mis en œuvre. Par contre, et en revenant sur ce que j’ai évoqué tout à l’heure, une chose envisageable serait de mesurer l’impact émotionnel que pourrait avoir un produit bio face à un produit non bio équivalent, en aveugle par exemple. Ou le tester en disant au consommateur quel produit est bio et voir s’il y a effectivement un impact sur ses émotions. Sur un autre plan, il reste que « bio » ne signifie pas forcément totalement inoffensif et plus sûr, sur le plan de l’allergie par exemple. il faut donc rester dans une certaine limite dans l’affichage d’une éventuelle supériorité du bio face au conventionnel, sur le plan pragmatique de la composition chimique. Il faut donc rester raisonnable et prudent. Reste – j’y reviens une nouvelle fois – que nous constatons toute l’importance du plaisir qu’on peut ressentir à l’utilisation d’un cosmétique, avant même que celui-ci soit efficace. Le plaisir procuré par l’application d’un cosmétique, maquillage inclus, est réellement essentiel pour la consommatrice, plaisir qui dépend bien sûr de la formulation. Je sais que la cosmétique bio a fait d’immenses progrès en la matière, mais elle doit justement ne pas oublier d’intégrer définitivement ce paramètre du plaisir, qui reste incontournable.

Merci à nos deux experts, la juriste et le scientifique, qui comme on le voit se complètent et même se rejoignent sur de nombreux points.

1) « Un produit cosmétique est une substance ou un mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».

2)  Accessible sur la page http://www.arpp-pub.org/Regles-en-vigueur.html parmi les différentes recommandations sectorielles.

Michel Knittel
Tél. + 33 (0)3 88 51 10 61
Mobile + 33 (0)6 07 40 75 03
manasa.conseil@orange.fr

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