Après le défi n°3 de l’aliment nu, voici celui des jeunes marques au sang neuf, pour des produits inclusifs plus proches du client.
Bio Linéaires : Peux-tu nous décrire comment les enseignes bio spécialisées gèrent leurs marques en linéaire ?
Sauveur Fernandez : Certains vont tiquer, mais je constate que nous avons, avec le temps, copié la GMS sans recul.
15 marques nationales s’imposent avec près de 26 % de part de marché, hors vrac et marques de distributeur (MDD). En GMS, 20 grandes marques font jusqu’à 45 % des approvisionnements… La tendance en bio pour les marques installées est de créer ou racheter d’autres marques, ce qui crée une illusion de choix.
« Le consom’acteur attend moins un choix large de produits mainstream qu’une sélection de marques originales comme un caviste ou une épicerie fine… »
Une part conséquente d’enseignes physique et en ligne privilégient leurs MDD. L’objectif courant est d’atteindre 36 % de références. On a, pour compléter, encore un bon étalage de petites marques « esprit bio ».
Mais, malgré leurs atouts, elles sont souvent dans l’ombre des marques phares, et ne sont pas toujours mises en avant ni bien référencée, « coincées » entres les grandes marques et les MDD qui dominent les linéaires. Sauf exception, elles ont aussi tendance à reproduire les qualités… et défauts des grandes marques bio.
Des marques « low-cost » intéressantes se développent, favorisées par les crises. Elles sont cependant les mêmes pour tous les circuits…
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BL : Quelles sont les conséquences pour le client ?
S. F. : Nous assistons, comme en conventionnel, à une offre standardisée qui amène à une faible différenciation entre enseignes.
Un phénomène de « rentes de confort » et de « sœurs ennemies » s’est aussi produit entre enseignes et grandes marques. L‘une a besoin de l’autre pour générer des avantages réciproques, qui n’empêchent pas les tensions… Le tout est peu propice à des changements d’envergures.
Par exemple, l’innovation est moindre, les grandes marques et marques MDD favorisant les nouveautés marketing à faible risque (copie de succès, surfer sur les tendances en vogue), plutôt que de plancher sur de vraies innovations de rupture. Conséquence, la clientèle bio spécialisée ne se renouvelle pas au rythme normal, et vieillit.
BL : Si j’ai bien compris, tu recommandes plus de biodiversité pour les marques ?
S. F. : Oui ! Si une forêt biodiversifiée est plus résiliente, plus riche, et plus attractive, c’est la même chose pour les enseignes et marques. Pour redynamiser l’écosystème « marque » actuel sans le briser, il faut accélérer le déploiement en cours, mais timide, de jeunes marques locavores ou atypiques indépendantes qui permettra, entre autres avantages de mieux se différencier.
Celles-ci savent créer un lien relationnel fort avec un public bio « nouvelle vague », et répondre à de nouvelles attentes comme l’inclusivité (prise en compte des minorités). Souvent plus jeune (mais pas que), ce néo-client est enclin aux nouveautés, est sensible à l’affect et ses critères d’achats sont différents. C’est aussi une clientèle « instagramée » que la bio, à du mal à séduire…
Derrière cette recherche de marques « fraîches » se profile en fait une évolution de fond : le consom’acteur attend moins un choix large de produits « mainstream », qu’une sélection de marques originales, comme un caviste, un commerce de bouche, ou une épicerie fine… Ce phénomène, dit de Curation, est en plein développement aux Etats-Unis, en GMS comme en magasin bio. Nous assistons en fait à un retournement de valeur. Les marques atypiques, engagées, locavores et les MDD « aliment nu » deviennent le cœur de gamme, car plus attractives que les marques nationales, celles-ci devenant progressivement minoritaires… La GMS française embrasse depuis peu cette tendance en zone urbaine.
« Il faut accélérer le déploiement de jeunes marques locavores ou atypiques qui permettra de mieux se différencier »
BL : D’autres points qui distinguent ces marques atypiques ?
S. F. : Oui, pas mal de choses très instructives, car on y devine en filigrane le portrait-robot d’une nouvelle race de consom’acteur (voir le dossier*). Mais la différence la plus importante à mes yeux est, qu’à contrario des marques bio classiques, elles ne font pas de l’engagement éthique le pilier phare de leur communication. Elles privilégient d’abord les besoins aspirationnels et relationnels de leur client. Les marques installées devraient s’en inspirer.
*Découvrez le grand dossier La Bio augmentée : les 6 défis anti-crise pour une bio à nouveau désirable