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Dentifrices : que reste-il aux marques bio ?

Au mois de septembre 2022, les dentifrices ont été mis sous les feux de l’actualité après une étude – réalisée par un magazine de tests bien connu – portant sur 12 références parmi les plus vendues. Résultat : 3 produits sur 4 contiendraient, selon ce magazine, des composants « problématiques ». Un bel argument pour mettre en avant les dentifrices bio ?

Les Français prennent soin de leurs dents !

Selon une enquête révélée au printemps 2022 par le site Doctolib et l’UFSB (Union française pour la Santé bucco-dentaire), les Français prennent bien soin de leurs dents, ce qui se reflète dans la fréquence du brossage : 72 % des personnes interrogées ont dit se brosser les dents plusieurs fois par jour (56 % deux fois, 14,5 % trois fois et 1,5 % plus de trois fois) et 25 % une fois (la recommandation étant de deux fois par jour). Seuls 3 % de nos compatriotes ne se brossent pas les dents tous les jours.

Selon le cabinet IRI, ce sont environ 190 millions de dentifrices qui sont ainsi achetés en France chaque année (dont plus de 150 millions en tube), soit environ quatre unités par personne.

Avec un tel usage massif, il ne faut donc pas s’étonner que la presse se soit intéressée au résultat de l’étude des compositions réalisée par la revue de tests comparatifs au mois de septembre 2022. Parmi les substances « préoccupantes » soulignées par ce magazine figure le sodium lauryl sulfate, un tensio-actif (agent moussant) connu depuis des années pour être irritant sur la peau à doses élevées. S’il est autorisé en bio (alors que le sodium laureth sulfate, encore plus irritant, est interdit), il n’est normalement employé qu’à dose faible, le fait que le dentifrice soit un produit rincé limitant encore plus le risque d’irritation. Le magazine s’inquiète sinon aussi de la présence fréquente de triclosan (un conservateur antimicrobien, interdit en bio, fortement suspecté d’être un perturbateur endocrinien) ainsi que de celle d’ingrédients fortement abrasifs (dont le rôle est d’éliminer la plaque dentaire avant qu’elle ne se transforme en tartre).

Enfin, ce comparatif déplore la présence, dans près de la moitié des dentifrices analysés, de dioxyde de titane (TiO2), le magazine rappelant que ce dernier a été classé « cancérogène de catégorie 2 par inhalation ». Sauf que, par définition, cela concerne de la poudre libre, respirable, et non du TiO2 en suspension dans une pâte comme dans un dentifrice ! L’argument, repris en boucle par les médias, est donc surprenant. Certes, des études sur l’animal ont également montré que ce TiO2 pourrait favoriser le cancer colorectal, d’où son interdiction au niveau européen, comme additif (code E171) dans les produits alimentaires depuis février 2022. Mais il reste autorisé (comme colorant opacifiant) dans les médicaments, pourtant eux aussi ingérés, car la dose consommée est de très loin inférieure à celle dans le cas d’un aliment. Il reste également autorisé en cosmétique (code CI 77891) car il s’agit d’un usage externe, et il l’est aussi dans les dentifrices car non seulement la dose y est faible, mais en plus on rince sa bouche après usage. Aucune donnée ne montre que la quantité de TiO2 potentiellement ingérée lors du brossage poserait problème.

Petite leçon de (bonne) argumentation

Bien qu’autorisé en bio, de nombreuses marques ont cependant fait le choix de ne plus employer le TiO2. Mais si on peut décider de l’éviter par principe de précaution, alors le sérieux recommande de ne pas mettre en avant son potentiel « effet cancérogène par inhalation » ! Le monde de la Bio est en effet trop souvent enclin à s’enflammer pour des arguments qui impressionnent les consommateurs, mais totalement hors de propos.

Un des excellents exemples, en cosmétique, est entre autres l’inquiétante information, apparue autour de 2007 mais que l’on continue à lire parfois plus de 15 ans plus tard sous la plume d’expert(e)s autoproclamé(e)s, que les PEG sont « obtenus à partir de gaz de combat », à l’inverse qu’ils « ont été utilisés pour fabriquer des gaz de combat » ou même qu’ils sont « utilisés dans les gaz de combat » (sic !).

Certes, d’une part les PEG (et d’autres ingrédients cosmétiques de synthèse) sont obtenus par l’action d’oxyde d’éthylène, lui même issu d’éthylène, et d’autre part, durant la Première Guerre mondiale, le tristement célèbre gaz moutarde (alias ypérite) était effectivement fabriqué à partir d’éthylène. Mais ce « méli-mélo » à propos des PEG et des gaz de combat illustre parfaitement la superficialité de bien des « influenceuses » (voire de certains médias) et leur méconnaissance trop souvent totale de la chimie. La nocivité des PEG est autre : ils ne sont notamment pas biodégradables, sont susceptibles d’augmenter l’irritabilité de la peau en favorisant la pénétration de certains actifs, et suite à leur fabrication ils peuvent contenir comme impureté du 1,4-dioxane suspecté d’être cancérigène. Ce n’est pas parce que l’éthylène était utilisé pour synthétiser un gaz de combat qu’il faut imaginer un lien étroit entre l’effet mortel de ce gaz et les PEG sous prétexte que l’éthylène figure parmi les réactifs initiaux nécessaires à leur synthèse ! Pour mémoire, les plastiques recyclables du type polyéthylène (PE, PET ou PEHD) sont aussi fabriqués à partir d’éthylène. Leur éventuelle combustion est de fait polluante, mais il ne vient à l’idée de personne de les accuser d’être fabriqués à partir de « gaz de combat ».

Offensive « greenwashing » sur le dentifrice

Outre les composants pointés du doigt par le magazine de tests comparatifs évoqué plus haut, les dentifrices conventionnels contiennent souvent bien d’autres substances douteuses, toutes interdites par tous les référentiels bio. On peut également trouver par exemple dans leur formule du BHA, un antioxydant qui cumule les risques (cancérogène possible, reprotoxique, perturbateur endocrinien), ou encore son « parent » le BHT, pour lequel, selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), « les préoccupations sont similaires » (reprotoxique, perturbateur endocrinien supposé). Certaines formules contiennent aussi assez souvent des PEG et encore toujours des parabens (!), de l’hydroxyéthylcellulose (un polymère éthoxylé de cellulose), du sodium laureth sulfate (écotoxique, comme la plupart des substances éthoxylées), du polysorbate 80 (autre tensio-actif de synthèse éthoxylé), des polymères de synthèse (ex. poloxamer, copolymer, carbomer…), de la paraffine, etc. sans oublier des colorants et des arômes synthétiques.

Cela n’empêche pas les fabricants des dentifrices contenant ces ingrédients de pratiquer largement le greenwashing dans leurs allégations : « herbal », « à l’extrait naturel », « à base de plantes », « protège naturellement », « à l’argile », « soin thermal » « au charbon actif », etc. Ces allégations ne peuvent cependant pas faire oublier ce qui se cache dans leur liste INCI, ou plutôt ce qui apparaît immédiatement quand on prend simplement la peine de la lire.

À l’inverse, tous ces ingrédients sont bien entendu interdits en bio. Avantage clair aux dentifrices certifiés ? Attention à ne pas crier victoire trop tôt. Car les marques conventionnelles attaquent de plus en plus sur un autre terrain, celui de l’éco-responsabilité, surfant sur cette tendance (éco-conception en particulier) en plus de leur soi-disant naturalité.

En plus du « 0 % colorants artificiels » ou du « 0 % sodium lauryl sulfate », on voit ainsi apparaître de plus en plus de dentifrices pour lesquels leurs fabricants vantent leur suremballage en « carton 100 % recyclable » et même, depuis peu, des tubes recyclables car en PEHD monomatériau. Certaines marques se sont même lancées, à la place des traditionnels tubes, dans des poches souples également en PEHD monomatériau recyclable, utilisant de plus moins de plastique car plus légères. Ces poches sont vendues sans suremballage (pas d’étui carton), avec l’avantage de réduire encore plus les déchets. Le réutilisable est également en vue, voire le compostable, à l’horizon de deux ou trois ans, comme l’a annoncé une des marques leaders en GMS.

Un impératif de cohérence

Que reste-t-il ainsi aux marques « 100 % bio », qui n’ont pas attendu, comme on le sait, pour se lancer dans une éco-responsabilité tous azimuts, avec des emballages recyclables voire recyclés, des recharges, des formules sans eau (en poudre, en comprimés, etc.) ? D’autant plus que la plupart des marques conventionnelles de GMS ou de pharmacie ont également lancé des formules bio, dûment certifiées…

Ce qui reste, c’est avant tout le fait que ces marques ne font que surfer sur les tendances du bio, du naturel (au moins en apparence) et de l’éco-responsabilité. Leur engagement n’est de toute évidence que partiel. Que signifie vendre quelques références certifiées si par ailleurs on continue à proposer en majorité des gammes absolument non certifiables car contenant un ou plusieurs ingrédients douteux ou même à risque ? Comme pour les autres cosmétiques, les magasins bio doivent mettre en avant l’incohérence de telles formules non certifiées, même s’il est allégué qu’elles sont à 90 ou 95 % d’origine naturelle, et à l’inverse faire ressortir la cohérence de la démarche des marques « totalement bio ». L’avenir de la Bio, même en cosmétique et pour un produit aussi banal d’emploi que le dentifrice, passe par la démonstration d’un engagement « à 360 ° » pour la Planète et pour notre santé.

MICHEL KNITTEL

Tél. : 06 07 40 75 03

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